François Cheng (1929 -) : Un jour, les pierres (II)
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Nus nous sommes
Pourtant par nous
passent les métamorphoses
Gemmes de grenade
Rubis de paon
Agates et améthystes
de dix mille aurores...
Car nous étions seuls
à avoir dévisagé
La fulgurante nuit
A l’instant où la lumière fut
Au creux de l’aveugle abandon
Conduis-nous
Le long des filons
Vers où jaillit le jour
l’irrépressible désir
Creuset originel où tout se rejoint
Les corps rompus
n’y toucheront nuls confins
Les cœurs brisés
y battront sans fin
La mort ne sera plus notre issue
Silex au geste sans miroir
Silex au geste sans écho
Solitaire ombre debout
Au bord de la Voie lactée
Bâtir le royaume à mains nues
Sur les cailloux entrechoqués
De l’habitable étincelle
Avoir tout dit
et ne plus rien dire
Accéder enfin au chant
par le pur silence
T’ouvrant là
sans retenue
A l’appel d’un geai
Aux cris des cigales
Au pin jailli de toi
te brisant les entrailles
Sous le ciel uni
Qu’effleure seul
un nuage
Vers toi va
l’ombre du bambou
De toi vient
l’éclat de la mousse
Tu te donnes
à la grâce ailée
De deux ou trois feuilles
d’orchidée
Jade lisse au toucher
Soumis aux mille caresses
A toi-même transparent
Tu caresses un seul rêve :
Seule lune sur seul étang
D’où s’envole l’oie sauvage
Vers l’infini ouvert
Au-dedans de toi-même
Me voici
pure attente
Où es-tu
claire cascade
Il suffit
que tu viennes
Pour que ce soit
mélodie
Pierre à encre
Emeraude-bleu-azur
Jaune-rouge-orangé
Couleurs de la lumière
Couleurs de la matière
Epousailles sans nom
De la chair et du sang
Passion brève d’un soir
Brûlée entre œil-main
Orangé-rouge-jaune
Bleu-azur-émeraude
Arc-en-ciel retourné
A la nue d’origine
Qui seul sait dire en rêve
La saveur sans-couleur
Qui sait dire en noir-blanc
L’indicible point gris
Quand se tait soudain le chant du loriot
L’espace est empli de choses qui meurent
Tombant en cascade un long filet d’eau
Ouvre les rochers de la profondeur
Le vallon s’écoute et entend l’écho
D’immémoriaux battements de cœur
De la terre mortelle
que pourrais-tu craindre ?
Toi météorite
Ayant survécu
A la déflagration première
A la chute
sans fin...
Que pourrais-tu craindre
hormis ta propre énigme
Fragment basaltique
Chu
d’un haut désastre
Chu du rêve lunaire
Dont nous sommes longtemps
sevrés
Intact là
Tout le chant sidéral
Intacte la nuit originelle
Mille cristaux
Irradiant d’émeraude
Restituant un coeur qui bat
Nôtre
Te rappelles-tu l’ancien giron
Rotation des flammes ronde des étoiles
Désir insensé de nage, de vol
Au travers d’inapaisables tempêtes
Jusqu’à cette ultime plage
Où tu t’étais échoué galet parmi galets
Désormais tout entier livré
aux inapaisables marées
Tel un orphelin égaré
pleurant à l’appel de sa mère
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Double Chant
Editions Encre Marine, 2000
Du même auteur :
Un jour, les pierres (I) (15/05/2014)
« L'infini n'est autre… » (15/05/2015)
« Demeure ici… » (15/05/2017)
Un jour, les pierres (III) (05/05/2018)
L’arbre en nous a parlé (I) (05/05/2019)
L’arbre en nous a parlé (II) (05/05/2020)
L’arbre en nous a parlé (III) (05/05/2021)
Cantos toscans (I) (05/05/2022)
Cinq quatrains (05/05/2023)
Neuf nocturnes (05/05/2024)