Alain Duault (1949 - ) : Breizh
Breizh
à Jean –Marie Le Sidaner
… Vagues ténébrantes et blanches qui remontent les veines,
recomposent sans cesse une immense légende où le temps se
chiffre et se déchiffre : c’est cette métaphore infiniment reprise
qui défait l’assurance d’une langue en miroir, qui étoile du sujet
le visage pour le moduler dans une polyphonie où son identité se
poudroie : pas de vague qui ne soit la même ni une autre. Pas de
langage qui se (se) joue de cette différence qui la fonde.
Et déjà la gerbe du vent bleu dénoue l’analogie : face à la mer
et son mouvement de vie sans fin, rien n’est ou fut qui ne soit comme.
Rien en Bretagne qui ne soit ce feuilleté métaphorique infini, affolant,
béant sur l’imaginaire où se condense la mémoire dans laquelle nous
nous inscrivons dès l’écoute de l’instant : nous enfonçant dans la terre
aux légendes, de Brocéliande, s’ouvrant sur le Val – sans – Retour, à
la Baie des Trépassés, où nous pousse le cri salé des goélands, du Cap
Fréhel, un nom de femme et qui chantait, à Paimpol et le souvenir du
Sable sombre d’Islande sous les lames et des ténèbres dans la gorge
bleuie, ou à Sein, l’île érotique couchée lascivement sous la nacre des
caresses où se prend la lumière, et dont les gémissements passant le raz
viennent bruire jusqu’à Penhir, les nuits de périr et de prière noire, des
mille calvaires et menhirs aux cromlec’h où l’Ankou se cache, la mort
encore rase l’Armor, et passe d’Ouessant à Rance, du Ménez – Hom à
l’Aven ou l’Aulne : c’est peut- être là, quand s’enfle le spinaker du sang
dans la poitrine que la langue me prend dans ses fibres battues de cette
intime sœur qu’en Bretagne plus qu’ailleurs on rencontre dans ces
jachères de légende : la mort, couchée dans le grand drap des vagues
et qu’on retrouve comme une vieille maîtresse en écoutant monter
vers soi dans les rochers osseux des côtes sauvages la mer qui balbutie
les mille phrases d’une histoire qui est toujours la nôtre…
in, Revue « Vagabondages, N°36, Février 1982 »
Association Paris-poète
Librairie Séguier, 1981
Du même auteur : « Auriez-vous aimé voir Cléopâtre... » (25/06/2018)