Marcel Moreau (1933 - 2019) ) : « Femme, soeur, amie… »
Femme, soeur, amie,
J’ai tourné autour de ton ventre plus de fois que je n’ai couru
les bals.
Femme, soeur, amie, amante,
J’ai contemplé ton ventre plus souvent que les arts d’ici-bas, que
les constellations là-haut.
Femme, soeur, amie, amante, prêtresse,
j‘ai écouté ton ventre avec tant de croyance que ne m’en restait
plus pour la croyance en l’homme.
Femme, soeur, amie, amante, prêtresse,
pécheresse, j’ai appris de ton ventre plus que ne m’enseignèrent
les livres.
Femme, soeur, amie, amante, prêtresse, pécheresse, agnelle, louve,
succube, garce, grâce, FOLLE, j’ai noyé dans ton ventre plus de raison
que ne s’en vidait mon esprit.
Mais , Femme unique,
jamais, au grand jamais, je ne pourrai jurer, sur ton vente, à sa source,
que je sais où je vais lorsque je vais en lui.
*
Ceci n’est pas tout à fait un sexe.
C’est l’entrée d’un pays qui commence par l’abyme.
Ceci n’est pas tout à fait une fissure.
C’est, balbutiée, la promesse d’une béance.
Ceci n’est pas tout à fait à la naissance du désir. C’en est la convocation,
nocturne, moite, grondante, interlope.
Enfin, ceci n’est pas tout à fait la femme que l’on connaît.
C’est, par-dessus sa feinte tranquillité de dormeuse, le sillon
insomniaque de ses sens. C’en est l’histoire immémoriale,
ramassée dans un bras du fleuve
Amazone
*
C’est ainsi que la femme fut créée.
Pour que les ténèbres soient plus douces que la lumière.
Pour que le creux soit plus vrai que l’éminence. Pour que
l’énigme soit plus belle que l’élucidation. Pour que le
jour qu’elle donne et la volupté qu’elle répand soient des
mêmes noces englouties qui réunissent le corps fécond et la
chair dévergondée. Pour que l’homme, quand il lui fait l’amour,
se sente ce nomade singulier qu’orientent les appels au vertige,
tandis que s’égare le dérèglement des astres.
*
Elle est la peau.
Elle est la peau dont on ne sait que dire.
La peau de ce qu’il y a
au-dessous de la peau.
La peau de nos Afriques languides, en proie au sommeil des sorciers.
Elle est la peau des origines.
De l’avenir des origines.
Elle est ce dont s’habille la lascive sauvage, lorsqu’elle frissonne,
dont elle se déshabille quand elle brûle.
Elle sent bon l’onction musquée des premières fièvres, l’oisive
mouillure des ivresse cavitaires.
Elle consacre les ruissellements, tous.
Et pourtant, il se peut qu’elle appartienne à cette femme de haute
lignée mélodieuse qui pose soudain sur votre épaule sa tête
d’enfant et vous murmure les mots qui feront de vous, à genoux,
son pur glorificateur.
*
Tu me caches quelque chose…
Quelque chose de bien plus bas que la terre, une entrée dans tes
pieds, une autre dans ta gorge.
Tes pieds, ta gorge s’ouvrent, mais jamais par ces entrées qui
mènent au flamenco…
Quand bien même te couperais les pieds, te trancherais la gorge,
ne trouverais ce chemin que ton dieu seul connaît…
Tu me caches quelque chose…
Quelque chose de bien plus bas que la mer…
J’y enfonce mes genoux, mon poitrail et ma tête à la suite et
tu m’as bâillonné pour que je ne crie pas…
je voudrais te rejoindre quand tu danses tes eaux à m’en pourrir
l’éponge. Mais jamais ne verrai ce fond d’où tu me vois t’aimer
d’amour encloaqué…
Tu me caches quelque chose…
Quelque chose de bien plus bas que le ciel…
N’ai plus rien à te dire…Ton amant est le Vent, que veux-tu que
je fasse ?
D’une brise il remonte ta robe, d’une rafale il l’ôte, il t’emporte
en son souffle vers son bordel abstrait, où l’on change de désir
comme on change de jouir et où les noces sont courtes, le temps
qu’elles t’écartèlent.
Tu me caches quelque chose…
Tectonique de la femme, Editions Cadex, 2006
Du même auteur : « Un livre devrait s’ouvrir… » (26/03/2016)