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Le bar à poèmes
14 octobre 2023

André Chénier (1762 – 1794) : La jeune captive

1312493-André_de_Chénier[1]Peinture à l'huile anonyme du XVIIIe siècle. (Musée Carnavalet, Paris.)

 

La jeune captive

 

« L'épi naissant mûrit de la faux respecté ;

Sans crainte du pressoir, le pampre tout l'été

     Boit les doux présents de l'aurore ;

Et moi, comme lui belle, et jeune comme lui,

Quoique l'heure présente ait de trouble et d'ennui,

     Je ne veux point mourir encore.

 

Qu'un stoïque aux yeux secs vole embrasser la mort,

Moi je pleure et j'espère ; au noir souffle du nord

     Je plie et relève ma tête.

S'il est des jours amers, il en est de si doux !

Hélas ! quel miel jamais n'a laissé de dégoûts ?

     Quelle mer n'a point de tempête ?

 

L'illusion féconde habite dans mon sein.

D'une prison sur moi les murs pèsent en vain,

     J'ai les ailes de l'espérance :

Échappée aux réseaux de l'oiseleur cruel,

Plus vive, plus heureuse, aux campagnes du ciel

     Philomèle chante et s'élance.

 

Est-ce à moi de mourir ? Tranquille je m'endors,

Et tranquille je veille, et ma veille aux remords

     Ni mon sommeil ne sont en proie.

Ma bienvenue au jour me rit dans tous les yeux ;

Sur des fronts abattus, mon aspect dans ces lieux

     Ranime presque de la joie.

 

Mon beau voyage encore est si loin de sa fin !

Je pars, et des ormeaux qui bornent le chemin

     J'ai passé les premiers à peine.

Au banquet de la vie à peine commencé,

Un instant seulement mes lèvres ont pressé

     La coupe en mes mains encor pleine.

 

Je ne suis qu'au printemps, je veux voir la moisson,

Et comme le soleil, de saison en saison,

     Je veux achever mon année.

Brillante sur ma tige et l'honneur du jardin,

Je n'ai vu luire encor que les feux du matin

     Je veux achever ma journée.

 

Ô mort ! tu peux attendre ; éloigne, éloigne-toi ;

Va consoler les cœurs que la honte, l'effroi,

     Le pâle désespoir dévore.

Pour moi Palès encore a des asiles verts,

Les Amours des baisers, les Muses des concerts ;

     Je ne veux point mourir encore.

 

Ainsi, triste et captif, ma lyre toutefois

S'éveillait, écoutant ces plaintes, cette voix,

     Ces vœux d'une jeune captive ;

Et secouant le faix de mes jours languissants,

Aux douces lois des vers je pliai les accents

     De sa bouche aimable et naïve.

 

Ces chants, de ma prison témoins harmonieux,

Feront à quelque amant des loisirs studieux

     Chercher quelle fut cette belle :

La grâce décorait son front et ses discours,

Et, comme elle, craindront de voir finir leurs jours

     Ceux qui les passeront près d'elle.

 

Œuvres complètes d’André Chénier,

Henri de Latouche éditeur, 1819

Du même auteur :

« Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre » (03/09/2014) 

La jeune Tarentine (03/11/2015) 

Néère (03/11/2016)

Le Jeu de Paume (03/11/2017)

A Abel (21/03/2020)

« Salut, ô belle nuit... » (21/03/2021)

« Aujourd'hui qu'au tombeau... » (21/03/2022)

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