George Oppen (1908 – 1984) : Un langage de New York
Un langage de New-York
I
Une ville d’entreprises
Sous-verre
De rêve
Et d’images –
Et la joie pure
Du fait minéral
Pourtant impénétrable
Comme le monde, s’il est matière,
Impénétrable.
II
Qui ne peut commencer
Par le commencement aura la chance
De trouver tout déjà en place. Il est client,
Arbitre et juge... Et la violence, ici
Est sans issue, un cul-de-sac.
Ils relancent
Le débat pour parler, ils deviennent
irréels, irréels, la vie perd
sa consistance, son poids, leur jeu : le baseball
car le baseball n’est pas un jeu
mais un débat et les avis contradictoires
font les courses de chevaux. Ce sont les spectres qui menacent
Votre âme. Quelque chose bouge
Dans l’air
Qui a des relents d’écurie ils pourront voir la fin
D’une ère
Premier entre les peuples
Et vous pouvez dignement prendre
Vos distances
Si vous y parvenez
III
Même à présent je ne parviens
Pas à me détacher vraiment
De ces hommes
Près de qui j’ai vécu dans des camps, sous des tentes
Dans des hôpitaux, des hangars et, caché, dans les bas-côtés
De routes défoncées dans le paysage détruit,
Parmi eux nombre d’hommes
Plus capables que moi –
Moykut et un sergent
Nomme Healy
Ce lieutenant aussi –
Comment l’oublier ?
Comment dire
« Le peuple » d’un ton dégagé ?
Qui est le peuple ? qu’il est
Cette force entre les murs
Des villes
Où les voitures
Des ouvriers
Et des patrons
Résonnent comme l’histoire
Le long des avenues murées
Ou l’on ne peut parler.
4
Possible
D’employer
Des mots à condition de les traiter
En ennemis.
Non des ennemis – des Spectres
Devenus fous
Dans le métro
Et bien sûr les bureaux
Et les banques. Si je les capture
Un par un en procédant
Avec soin ils recouvreront
Je l’espère la raison
Et le sens.
5
Acte qui est
Violence.
Et nul ne s’accommode d’un avenir
De déplacements rapides avec bruit décroissant
Moins de cahots
Moins d’engagement. Ils attendent
La guerre, et les nouvelles disent : Guerre
Comme toujours
Que la sève coule en eux
Et la sève stagne.
De grandes choses arrivèrent
Sur la terre, lui offrant une histoire, les armées
Et les hordes en haillons déferlant, les passions
De cette mort
Mais qui trompe
La mort ?
Qu’il y ait ou non la guerre, qu’il ait
On non son opinion, et non seulement les guerriers,
Non seulement les héros
Non seulement les victimes, et ils ont peut-être vu la fin
De tout cela, et si tel est le cas
Peut-être ont-ils vu la fin.
6
Il peut y avoir une brique
Dans un mur de brique
Que l’œil descelle
Un si calme dimanche.
Voici la brique, elle attendait
Ici-même ta naissance,
Mary-Anne.
7
Curieux comme les gens les plus jeunes que je connaisse
Telle Mary-Anne vivent dans les plus vieux immeubles
Disséminés dans la ville
Dans les chambres noires
Du passé – et les immigrants,
Les sombres
Immeubles rectangulaires
Des immigrants
Ce sont les enfants de la classe moyenne.
« De purs produits de l’Amérique – »
Envahissent
Les vieux immeubles
Se bousculent
Dans le demi-oubli, ce commerce pesant,
Cette muraille de Chine.
8
Whitman : « 19 avril 1964
La capitale au fil du temps, pousse au-dessus de votre tête, surtout maintenant
qu’ils l’ont ornée de cette grande figure et qu’on la voit de partout. C’est une
grande figure de bronze, Le Génie de la Liberté, je suppose. Au crépuscule elle
est superbe. J’adore aller la contempler. Le soleil, lorsqu’il est presque couché,
brille sur la tête et la couronne, qui accueille et vous éblouit comme une grosse
étoile ; c’est d’un aspect assez
bizarre. »
Traduit de l’américain par Pierre Alféri
George Oppen :Un langage de New York
Format Américain, 1993