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Le bar à poèmes
25 juillet 2022

Anna Waldman (1945 -) : La fissure dans le monde / Crack in the world

Anne_Waldman_2[1]

 

La fissure dans le monde

 

Je vois la fissure dans le monde

Mon corps la pense, il voit la fissure qui s’élargit dans le monde

Mon corps le fait pour que je voie

Le sang couler par la fissure du corps

Corps, envoie-moi tes rivières à la lune

Corps tord-moi vers la source de la lune

Ca me tord sous une vague

Ca installe la structure pour faire un bébé, pour après

la démolir encore

L’architecture du corps-utérus me hante

Il y a toujours quelqu’un qui regarde le flux ancestral

Il plie mon esprit en deux

Ovule non fertilisé

Je vois la fissure dans le monde

Les pensées se croisent dans le corps

Il ne doit pas me réprimer

Laisse-moi aller seule de mon côté ce soir

Aucun homme ne doit me toucher

Une entaille en moi, je vois l’entaille dans le monde ce soir

Elle me garde entière, mais me divise à présent

Dehors, sur la terre, pour saigner

Dans la rue, pour saigner,

Dans la neige, du sang

C’est une chanson sud-américaine

Parfum de laurier-rose

ou c’est une chanson de cactus

Chantez une fleur de sang une rose dans l’entrejambe

Ô jambes qui se dérobent !

Mon corps m’a charmée

Mon corps m’a rendu folle

C’est l’endomètre qui mue

Je suis compressée sous la pression de mon cœur

C’est la vie qui poursuit la fissure dans le monde

Entre les mondes

Entre les pensées

Un souffle vide

Les mots ne suffisent pas

Ovule non fertilisé

L’homme ne l’a pas fait

Je me couvre de tous les imprévus

la méchante

ou la puritaine qui marche dans un monde fécond

Les mots me chantent l’effondrement de l’endomètre

Les mots descendent dans mon ventre

Mon dos se gonfle, pour rendre mon corps à la terre

C’est périodique

Ca arrive à la pleine lune

Laisse-moi hurler dans la nuit

Aucun homme ne doit me toucher

Ne sonde pas mon coeur ce soir, homme

Personne ne veut être près de cette usine,

de cette magnifique machine,

mais j’évite ta compagnie de toute façon

Mon corps flexible imagine la fissure

Un corps avec des vents

Vois la fissure dans l’univers

La malédiction glorieuse est sur moi

Ne viens pas chez moi

Ne m’attends pas à ta porte

Je porte mes fringues de célibat

Mon cœur anthropocentrique dit qu’il y a

une fissure dans le monde ce soir

C’est le corps d’une âme étirée

C’est une pause dans le cycle de la naissance & de la mort

C’est la prolifération rapide des cellules

qui montent en puissance pour mourir

Je construis le monde & je le tue encore & encore

J’offre mes entrailles à la lune

Ovule non fertilisé

L’architecture me hante

Jambes qui vous dérobez vous devez porter le monde

Toi éloigne-toi de moi

Toi garde tes distances

Je te maîtriserai avec mon parfum

de vie & de mort

Toi qui est arrivé à travers la fissure de mon monde

Vous autres les hommes qui êtes sortis de moi, arrière

Les mots sortent du ventre

Gémissant comme le monde est démoli

Le corps charmé pour ça

Le corps conçu comme ça

 

Le corps a pris la mesure de la femme

pour expliquer la férocité de ce temps

marchant sur la périphérie du monde.

 

Traduit de l’anglais par Annalisa Mari Pegrum et Sébastien Gavignet

In, « Beat Attitude. Femmes poètes de la Beat Generation »

Editions Bruno Doucey, 2018

De la même autrice :

Cérémonie au peyotl pour Billy / Billy Work Peyote (25/07/2023)

D’après Mirabai / After Mirabai (25/07/2024)

 

Crack in the world

 

I see the crack in the world

My body thinks it, sees the gaping crack in the world

My body does it for me to see

Blood flowing through the body crack

Body, send me your rivers to the moon

Body twist me to the source of the moon

It turns me under a wave

It sets up the structure to make a baby, then tears

it down again

Architecture of womb-body haunting me

Someone is always watching the ancient flow

It doubles up my mind

Ovum not fertilized

I see the crack in the world

Thoughts intersect in the body

He must not keep me down

Let me go my way alone tonight

No man to touch me

A slash in me, I see the slash in the world tonight

It keeps me whole, but divides me now

Out on land, to bleed

On on street, to bleed

In the snow, blood

This is a South American song

Scent of oleander

Or this is a cactus song

Sing of a blood flower a rose in the crotch

O collapsible legs !

My body enchanted me to this

My body demented to this

It is endometrium shedding

I am compressed in the pressure of my heart

It is life pursuing the crack in the world

Between worlds

Between thoughts

A vacant breath

Words won’t do it

Ovum not fertilized

The man hasn’t done it

I cover every contingency

the catty one

or puritan walking in a fecund world

Words sing to me endometrium collapse

Words go down to my belly

Back swelling, to put my body next to the earth

This is periodic

It comes at the full moon

Let me go howling in the night

No man no touch me

Don’t fathom my heart tonight, man

No one wants to be around this factory,

this beautiful machine,

but I shun your company anyway

My flexible body imagines the crack

Body with winds

See the crack in the universe

The curse, glorious is upon me

Don’t come to my house

Don’t expect me at your door

I’m in my celibacy rags

My anthropocentric heart say there’s

a crack in the world tonight

It’s a long woman’s body

It’s a break in the cycle of birth & death

It’s the rapid proliferation of cells

building up to die

I make up the world & kill it again & again

I offer my entrails to the moon

Ovum not fertilized

Architecture haunting me

Collapsible legs you must carry the world

You get away from me

You keep your distance

I will offer power you with my scent

of life & death

You who came through the crack in my world

You men who came out of me, back off

Words come out the belly

Groaning as the world is pulled apart

Body enchanted to this

Body elaborated on this

 

Body took the measure of the woman

to explain the fierceness of this time

walking on the periphery of the world .

 

Fast speaking woman : Chants and Essays

City Lights Publishers (Pocket poets), 1996

 

Poème précédent en anglais :

John Keats (1795 – 1821) : A l’automne / To Autumn (16/07/2022)

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