Anna Waldman (1945 -) : La fissure dans le monde / Crack in the world
La fissure dans le monde
Je vois la fissure dans le monde
Mon corps la pense, il voit la fissure qui s’élargit dans le monde
Mon corps le fait pour que je voie
Le sang couler par la fissure du corps
Corps, envoie-moi tes rivières à la lune
Corps tord-moi vers la source de la lune
Ca me tord sous une vague
Ca installe la structure pour faire un bébé, pour après
la démolir encore
L’architecture du corps-utérus me hante
Il y a toujours quelqu’un qui regarde le flux ancestral
Il plie mon esprit en deux
Ovule non fertilisé
Je vois la fissure dans le monde
Les pensées se croisent dans le corps
Il ne doit pas me réprimer
Laisse-moi aller seule de mon côté ce soir
Aucun homme ne doit me toucher
Une entaille en moi, je vois l’entaille dans le monde ce soir
Elle me garde entière, mais me divise à présent
Dehors, sur la terre, pour saigner
Dans la rue, pour saigner,
Dans la neige, du sang
C’est une chanson sud-américaine
Parfum de laurier-rose
ou c’est une chanson de cactus
Chantez une fleur de sang une rose dans l’entrejambe
Ô jambes qui se dérobent !
Mon corps m’a charmée
Mon corps m’a rendu folle
C’est l’endomètre qui mue
Je suis compressée sous la pression de mon cœur
C’est la vie qui poursuit la fissure dans le monde
Entre les mondes
Entre les pensées
Un souffle vide
Les mots ne suffisent pas
Ovule non fertilisé
L’homme ne l’a pas fait
Je me couvre de tous les imprévus
la méchante
ou la puritaine qui marche dans un monde fécond
Les mots me chantent l’effondrement de l’endomètre
Les mots descendent dans mon ventre
Mon dos se gonfle, pour rendre mon corps à la terre
C’est périodique
Ca arrive à la pleine lune
Laisse-moi hurler dans la nuit
Aucun homme ne doit me toucher
Ne sonde pas mon coeur ce soir, homme
Personne ne veut être près de cette usine,
de cette magnifique machine,
mais j’évite ta compagnie de toute façon
Mon corps flexible imagine la fissure
Un corps avec des vents
Vois la fissure dans l’univers
La malédiction glorieuse est sur moi
Ne viens pas chez moi
Ne m’attends pas à ta porte
Je porte mes fringues de célibat
Mon cœur anthropocentrique dit qu’il y a
une fissure dans le monde ce soir
C’est le corps d’une âme étirée
C’est une pause dans le cycle de la naissance & de la mort
C’est la prolifération rapide des cellules
qui montent en puissance pour mourir
Je construis le monde & je le tue encore & encore
J’offre mes entrailles à la lune
Ovule non fertilisé
L’architecture me hante
Jambes qui vous dérobez vous devez porter le monde
Toi éloigne-toi de moi
Toi garde tes distances
Je te maîtriserai avec mon parfum
de vie & de mort
Toi qui est arrivé à travers la fissure de mon monde
Vous autres les hommes qui êtes sortis de moi, arrière
Les mots sortent du ventre
Gémissant comme le monde est démoli
Le corps charmé pour ça
Le corps conçu comme ça
Le corps a pris la mesure de la femme
pour expliquer la férocité de ce temps
marchant sur la périphérie du monde.
Traduit de l’anglais par Annalisa Mari Pegrum et Sébastien Gavignet
In, « Beat Attitude. Femmes poètes de la Beat Generation »
Editions Bruno Doucey, 2018
De la même autrice :
Cérémonie au peyotl pour Billy / Billy Work Peyote (25/07/2023)
D’après Mirabai / After Mirabai (25/07/2024)
Crack in the world
I see the crack in the world
My body thinks it, sees the gaping crack in the world
My body does it for me to see
Blood flowing through the body crack
Body, send me your rivers to the moon
Body twist me to the source of the moon
It turns me under a wave
It sets up the structure to make a baby, then tears
it down again
Architecture of womb-body haunting me
Someone is always watching the ancient flow
It doubles up my mind
Ovum not fertilized
I see the crack in the world
Thoughts intersect in the body
He must not keep me down
Let me go my way alone tonight
No man to touch me
A slash in me, I see the slash in the world tonight
It keeps me whole, but divides me now
Out on land, to bleed
On on street, to bleed
In the snow, blood
This is a South American song
Scent of oleander
Or this is a cactus song
Sing of a blood flower a rose in the crotch
O collapsible legs !
My body enchanted me to this
My body demented to this
It is endometrium shedding
I am compressed in the pressure of my heart
It is life pursuing the crack in the world
Between worlds
Between thoughts
A vacant breath
Words won’t do it
Ovum not fertilized
The man hasn’t done it
I cover every contingency
the catty one
or puritan walking in a fecund world
Words sing to me endometrium collapse
Words go down to my belly
Back swelling, to put my body next to the earth
This is periodic
It comes at the full moon
Let me go howling in the night
No man no touch me
Don’t fathom my heart tonight, man
No one wants to be around this factory,
this beautiful machine,
but I shun your company anyway
My flexible body imagines the crack
Body with winds
See the crack in the universe
The curse, glorious is upon me
Don’t come to my house
Don’t expect me at your door
I’m in my celibacy rags
My anthropocentric heart say there’s
a crack in the world tonight
It’s a long woman’s body
It’s a break in the cycle of birth & death
It’s the rapid proliferation of cells
building up to die
I make up the world & kill it again & again
I offer my entrails to the moon
Ovum not fertilized
Architecture haunting me
Collapsible legs you must carry the world
You get away from me
You keep your distance
I will offer power you with my scent
of life & death
You who came through the crack in my world
You men who came out of me, back off
Words come out the belly
Groaning as the world is pulled apart
Body enchanted to this
Body elaborated on this
Body took the measure of the woman
to explain the fierceness of this time
walking on the periphery of the world .
Fast speaking woman : Chants and Essays
City Lights Publishers (Pocket poets), 1996
Poème précédent en anglais :
John Keats (1795 – 1821) : A l’automne / To Autumn (16/07/2022)