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Le bar à poèmes
6 juillet 2022

Miguel de Unamuno (1864 – 1936) : « J’entends le bruissement ... / « Oigo el susurro... »

 

 

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J’entends le bruissement de la Mort qui approche,

Pas de velours, feutrés comme ceux des pieds nus,

Glissement cauteleux tel celui de l’aveugle,

Qui flaire en tâtonnant, d’un odorat aigu.

 

Et quand je sens son aile-main me nimber d’air,

Je me recroqueville, en retenant mon souffle ;

Puis, tranquille à l’abri du bastion du mystère,

Je ferme les paupières et je me laisse aller.

 

Je fais ainsi le mort, comme le scarabée ;

Oh, lâcheté ! car c’est mourir à deux reprises,

Et à ce sombre jeu, oh ! pénible torture,

Je bois la lie, le dépôt trouble de la vie.

 

Ah ! qu’il est dur de se résigner au destin !

Pour éviter la mort, mourir en la fuyant :

Ah ! voyageur, toi qui achèves ton voyage,

C’est au bout du chemin qu’on connaît tout son sort !

 

Toi, cependant qu’ainsi je jette au vent mes plaintes,

A l’oreille dis-moi ce qui régit ton cœur,

Pour que le mien puisse y puiser son dernier souffle,

C’est le souffle final de la résignation.

 

Traduit de l’espagnol par Yves Aguila

In, « Anthologie bilingue de la poésie espagnole »

Editions Gallimard (Pléiade, 1995)

 

     J’entends le bruit de la Mort qui approche,

j’entends le pas feutré de son pied nu,

se traîner circonspect, comme l’aveugle

qui odore à tâtons d’un flair aigu.

Et quand m’évente l’air que meut son aile,

- son aile-main – je retiens mon haleine

et me fais tout petit et, sans bouger,

fermant bien fort les yeux, je me tapis,

tel le marin au creux de l’abrivent,

au repli du mystère. O lâcheté

que de faire le mort comme un insecte,

et dans ce sombre jeu, mourir deux fois,

et remâcher jusques au plus épais

de sa bourbeuse lie l’amère vie !

Qu’il nous en coûte d’accepter le sort !

Pour fuir la mort, mourir comme fuyards !

Passant qui fait encore ta journée,

puisqu’on n’en sait le secret qu’à la fin,

tandis que je gémis ainsi, dis-moi

à l’oreille la loi que suit ton cœur,

le mien peut-être en tirera l’ultime,

suprême force de se résigner.

 

Traduit de l’espagnol par Mathilde Pomès

in, « Anthologie de la poésie espagnole »

Librairie Stock, 1957

Du même auteur :

Pour après ma mort / Para después de mi muerte (23/07/2021)

« Que je meure les yeux ouverts... » / « ¡Logre morir con los ojos abiertos…” (06/07/2023)

 

Oigo el susurro de la Muerte que llega,

Paso aterciopelado de pie desnudo,

Cauteloso arrastrarse como de ciego

Que a tientas husmea, con olfato agudo.

 

Y al sentir de su ala-mano el nimbo de aire

Conteniendo el resuello, me apelotono;

Del bastión del misterio, quieto al socaire

apretando los párpados me abandono.

 

Me hago así el muerte, como un escarabajo ;

¡ Qué cobardía ! pues es morir dos veces,

Y en este juego oscuro ¡ duro trabajo !

Del poso de la vida gusto las heces.

 

¡ Ay lo que cuesta resignarnos al sino!

Por no morir, morimos huyendo muerte :

¡ Ay caminante, que apuras el camino,

Hasta el fin no se toca toda, la suerte !

 

Dime tú mientras doy mis quejas al viento,

Al oido la ley de tu corazón,

Que mi pecho así cobre el último aliento,

Aliento final de la resignación !

 

Teresa. Rimas de un poeta desconocido...

Renacimiento, Madrid. 1924

 

Poème précédent en espagnol :

Antonio Machado : Aveu / Confesión (02/07/2022)

Poème suivant en espagnol :

José Manuel Caballero Bonald : Transfiguration de la perte / Transfiguración de lo perdido (09/07/2022)

 

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