Pascal Commère (1951 -) : lointaine approche des troupeaux à vélo vers le soir
lointaine approche des troupeaux à vélo vers le soir
pour Vincent et Gwenaëlle
Les prés sont des linges le soir ou de la brume
les bêtes vous savez n’appuient pas elles avancent
elles sont comme vous fragiles pas plus vraies
une pluie les efface il faut des jours ensuite
pour qu’elles montent vers nous
les bêtes c’est cela jamais plus quelques traces
dont s’étonnent les yeux au long des routes noires
vous y croisez parfois une ombre est-ce la vôtre
ou celle d’un enfant occupé dans l’hiver
à remettre la chaîne de son vélo froid
Le matin les mots sont plus clairs
ça ressemble à des îles un œil
d’oiseau parfois sous la pluie ça vit
loin en arrière une goutte d’eau
s’allume ici le soleil des fois il est malade
s’endort dans les groseilles
le ciel est plein de traces les bêtes
montent dans leurs genoux vont boire
Le soir les rivières sortent
sans elles les enfants mangent dans leurs mains sales
se tapent sur les bras à cause des tavins ils claquent
la langue pour dire ça les autres
ont des chapeaux c’est parce qu’ils sont vieux
ils les essaient au déballage sur la place il y a des couteaux
avec une croix rouge les enfants les ouvrent des yeux
çà fait froid dans la manche en glissant le marchand
ne voit rien sous ses sourcils le jour est une lame
qu’on soulève avec l’ongle
à Gérard Le Gouic
L’ombre partie les yeux gardent les trains
ils laissent sur les doigts des traces noires le temps
dans les jardins n’a pas d’odeur
un front se penche une vitre s’ouvre
le ciel on ne sait pas c’est toujours un peu loin
quand il pleut les rails emportent
la marchandise des regards un homme sur un quai
fait du feu dans ses mains quelque part il fait jour
dans une maison claire on mange avec les mouches
Les routes n’intéressent pas le soleil il passe plus haut
le journal s’absente le dimanche les mains ont la couleur
de la poussière dans les vérandas les roses s’enfoncent
vers l’automne les hommes posent des volets aux fenêtres dénigrent
la lumière les lézards sur les murs sont presque des doigts
ils dorment sous l’herbe jaune on ne sait pas leurs noms
le temps sent la pluie le matin s’il y avait la mer
on dirait elle est seule un peu à cause d’elle une fillette au loin
ses yeux s’éloignent la balançoire
l’emporte
Les enfants mangent les mots ils parlent vite des rivières piquent
l’eau avec des fourchettes au-dessus des moutelles leurs mains sont noires
on ne voit pas le temps dans les vérandas les roses font leur nid
les yeux des femmes c’est un peu de nuit comme un journal les chenevières
y dorment des hommes brûlent leur ombre le soir le front
est une fleur défaite on jette des pommes aux bêtes rentre
dans ses gestes les mains sont des eaux usées sous les genoux tout est noir
l’entaille des bottes l’oseille le lilas au coin de l’évier le jour
ramasse les papiers gras dans la poussière des vitres la pluie
fait des ratures
Les maisons sont un peu ce qui reste des mains
il a plu le ciment les abîme les heures
dans le vitres sont des bêtes pleines longent
les murs le journal passe de cuisine en cuisine
avec les mouches on pose une pierre dessus on dirait
des fois les yeux c’est du gras ils laissent sur les choses
quelques taches
Les enfants couvrent les livres un bol dedans c’est rouge
sur le sable attend dessous un portrait
une croix des médailles celui-là ne parle pas
des boîtes de cacao sur la cheminée près du calendrier
des pompiers des enveloppes un coin manque on enfonce l’ongle
une ride sur le front dans l’ombre donne parfois de ses nouvelles
Vers le soir les hommes perdent les yeux les mains
le bâton sur le guidons poussent les bêtes les lampes
sont presque des pis sur la toile cirée
une joue molle ils y cassent leur pain
ou c’est leurs doigts
Dehors les hirondelles sont des ciseaux les enfants
les oublient un peu plus haut quand il ne fait pas nuit
elles coupent le vent dans ce qui traîne ils font des fouets
posent leurs yeux dans les fenêtres s’enferment
dans un peu de buée c’est quand tout est près
que c’est loin
Revue « Poésie partagée »
Editions Folle Avoine, 35850 Romillé, 1984
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