Léon-Gontran Damas (1912 – 1970) : Solde
Léon-Gontran Damas vu par Emmanuel Baliyanga
Pour Aimé Césaire
J’ai l’impression d’être ridicule
dans leurs souliers dans leur smoking
dans leur plastron dans leur faux-col
dans leur monocle dans leur melon
J’ai l’impression d’être ridicule
avec mes orteils qui ne sont pas faits pour
transpirer du matin jusqu’au soir qui déshabille
avec l’emmaillotage qui m’affaiblit les membres
et enlève à mon corps sa beauté de cache-sexe
J’ai l’impression d’être ridicule
avec mon cou en cheminée d’usine
avec ces maux de tête qui cessent
chaque fois que je salue quelqu’un
J’ai l’impression d’être ridicule
dans leurs salons dans leurs manières
dans leurs courbettes dans leurs formules
dans leur multiple besoin de singeries
J’ai l’impression d’être ridicule
avec tout ce qu’ils racontent
jusqu’à ce qu’ils vous servent l’après-midi un peu d’eau chaude
et des gâteaux enrhumés
J’ai l’impression d’être ridicule
avec les théories qu’ils assaisonnent
au goût de leurs besoins de leurs passions
de leurs instincts ouverts la nuit en forme de paillasson
J’ai l’impression d’être ridicule
parmi eux complice parmi eux souteneur
parmi eux égorgeur les mains effroyablement rouges
du sang de leur civilisation
Pigments
G.L.M. éditeur, 1937
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