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Le bar à poèmes
29 septembre 2018

Léon – Gontran Damas (1912 – 1978) : « Je suis né disais-tu... »

 

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- Je suis né disais-tu au bout

tout au bout du monde

là-bas

entre

la Montagne Tigre

et le Fort-Cépérou qui regarde la Mer dîner de soleil

de palétuviers et d’algues

à l’heure où la nuit tombe

sans crier gare au crépuscule

 

Du vieux Dégradé-des-Cannes

témoin de ce qui fut le temps des négriers

Des chutes de Rorota dont l’eau est belle à voir et bonne à boire

De Montalbo la Plage huppée

De Bourda le fief du vieux-blanc-en-chef de l’heure

De Châton dont le sable gris-deuil voit s’en revenir

non sans mal du Large

violâtres

défigurés

gonflés

pareils à de gros-ventres

les cadavres de ceux qu’attire Châton à Pâques et à Pentecôte

et que Dieu dans sa mansuétude

punit si gentiment en les noyant à Pâques et à Pentecôte

pour n’avoir pas à la Sainte Table

communié en Dieu à Pâques et à Pentecôte

mais pour avoir à Châton fait ripaille

à Pâques et à Pentecôte

 

De Buzaret dont l’ombre rafraîchit

et les rochers depuis toujours supportant

plus d’une amour ardente et chaude

 

De l’Anse des Amandiers

que nargue l’Enfant Perdu dans sa détresse de phare

 

De Catayé où s'en vont crever de vanité les cerfs-volants des Amandiers

qui n’en peuvent mais de faire

le joli cœur au Ciel

 

Du Dégrad nouveau

De la Pointe qui mène à Kourou

où l’Indien eût

un soupçon de revanche

De la Crique encombrée de pirogues

De la Place des Palmistes

à ton cœur pourtant si proches

ne parvenait guère

le souffle même de l’Orénoque

ton Orénoque

Rivé à la médiocrité du sort

petit-bourgeois crépu

ton âme était d’emprunt

ton corps emmailloté

ton cœur un long soupir

 

Et nul ne voyait la plante s’étioler

pas même Œil-à-Tout-l’Invisible

qu’en longue robe blanche

accoudé au flanc acajou de ton lit

la tête un instant perdue

dans tes mains pieusement jointes

tu priais à genoux

à l’heure où les enfants se couchent et dorment

sans broncher ni mot dire

 

Et tes nuits qu’agitaient des leçons ânonnées en dodine

s’emplissaient de désirs comprimés

 

Jeux interrompus la veille à la vue de la clef

par distraction laissée au buffet et au choix

de bonnes chose en réserve

gelée de goyave

liqueur de monbin

mangues Julies jolies jaunies à point

fruits fruits confits

gâteaux secs et lait

lait condensé chipé toujours meilleur au goût

 

Désirs comprimés

 

Le beau tour à jouer à Gouloufia

criminellement coupable

d’avoir à lui seul

dévoré à pleines dents

le gâteau que Nanette

La bonne vieille marchande

vous avez en partage

si gentiment offert

 

Désirs comprimés

 

Les vacances toujours proches à Rémire

où les cousins parlaient si librement patois

crachaient si aisément par terre

sifflaient si joliment un air

lâchaient si franchement un rot

et autres choses encore

sans crainte d’être

jamais mis au pain sec

ni jetés au cachot

 

Désirs comprimés

 

Les cris de joie feinte

d’autres diraient de rage

que tu poussais à perdre haleine

à la toute dernière fessée reçue pour t’être

sous le regard acerbe de ta mère offusquée

et à la gêne polie de tous

farfouillé le nez

d’un doigt preste et chanceux

au goûter-de-Madame-La-Directrice-de-l’Ecole-des-Filles

 

Désirs comprimés

 

Le mot sale entendu quelque part et qu’un jour

mine de rien

tu servirais à table

au risque de te voir

ou privé de dessert

ou privé de sortie

ou privé des dix sous du dimanche

à mettre en tirelire

 

Désirs comprimés

dont s’emplissaient tes nuits qu’agitaient

des leçons ânonnées en dodine

 

Et n’enlevaient ce fort goût d’amertume

que laisse à la bouche au réveil une nuit d’insomnie

ni la tiédeur du soleil matutinal qui ranimait déjà toutes choses

ni la volubilité des vieilles édentées en madras calendé

martelant la chaussée d’aise au sortir du premier office

où le dieu de la veille

fut à nouveau loué

glorifié prié

et chanté à voix basse

 

ni l’odeur rose des dahlias du jardin qu’argentait la rosée

ni les cris savoureux de la rue qu’assoiffaient

la bié nan-nan

côrôssôl

papaye

coco

 

Et la maison était triste et basse

où la vie se déroulait mollement

en bordure de la rue étroite et silencieuse

que le bruit de la ville

traversait à peine

..............................................

 

Black Label

Editions Gallimard, 1956

Du même auteur :

Hoquet (29/09/2015)

Nuit blanche (29/09/2016)

Savoir-vivre (29/09/2017)

En file indienne (29/09/2019)

Solde (29/09/2020) 

Commentaires
F
Quelques coquilles dans cette retranscription...Je me permets donc : <br /> <br /> <br /> <br /> JE SUIS NE<br /> <br /> disais-tu<br /> <br /> tout au bout du Monde<br /> <br /> LA-BAS<br /> <br /> entre la montagne-des-Tigres<br /> <br /> et le Fort-Cépérou qui regarde la Mer dîner de soleil<br /> <br /> de palétuviers et d’algues<br /> <br /> à l’heure où la nuit tombe<br /> <br /> sans crier gare au Crépuscule<br /> <br /> Du vieux Dégradé-des-Cannes<br /> <br /> témoin de ce qui fut le temps des Négriers<br /> <br /> Des chutes de Rorota dont l’eau est belle à voir et bonne à boire<br /> <br /> De Montabo-la Plage huppée<br /> <br /> De Bourda le fief du Vieux-Blanc-en-Chef de l’heure<br /> <br /> De Chaton dont le sable gris-deuil voit s’en revenir<br /> <br /> non sans mal du Large<br /> <br /> violâtres<br /> <br /> défigurés<br /> <br /> gonflés<br /> <br /> pareils à des gros-ventres<br /> <br /> les cadavres de ceux qu’attire Chaton à Pâques et à Pentecôte<br /> <br /> et que Dieu dans sa mansuétude<br /> <br /> punit si gentiment en les noyant à Pâques et à Pentecôte<br /> <br /> pour n’avoir pas à la Sainte Table<br /> <br /> communié en Dieu à Pâques et à Pentecôte<br /> <br /> mais pour avoir à Chaton fait ripaille<br /> <br /> à Pâques et à Pentecôte<br /> <br /> De Buzaré dont l’ombre rafraîchit<br /> <br /> et les rochers depuis toujours supportent<br /> <br /> plus d’une amour ardente et chaude<br /> <br /> De l’Anse des Amandiers<br /> <br /> que nargue l’Enfant Perdu dans sa détresse de phare<br /> <br /> De Katayé où s’en vont crever de vanité les cerfs-volants <br /> <br /> des Amandiers<br /> <br /> qui n’en peuvent mais de faire<br /> <br /> le joli cœur au Ciel<br /> <br /> Du Dégrad nouveau<br /> <br /> De la Pointe qui mène à Kourou<br /> <br /> où l’Indien eut<br /> <br /> un soupçon de revanche<br /> <br /> <br /> <br /> De la crique encombrée de pirogues<br /> <br /> <br /> <br /> De la Place des Palmistes<br /> <br /> à ton cœur pourtant si proche<br /> <br /> ne parvenait guère<br /> <br /> le souffle même de l’Orénoque<br /> <br /> ton Orénoque<br /> <br /> <br /> <br /> Rivé à la médiocrité du sort<br /> <br /> petit-bourgeois crépu<br /> <br /> ton âme était d’emprunt<br /> <br /> ton corps emmailloté<br /> <br /> ton cœur un long soupir <br /> <br /> Et nul ne voyait la plante s’étioler<br /> <br /> pas même Œil-à-Tout-l’Invisible<br /> <br /> qu’en longue robe blanche<br /> <br /> accoudé au flanc acajou de ton lit<br /> <br /> la tête un instant perdue<br /> <br /> dans tes mains pieusement jointes<br /> <br /> tu priais à genoux<br /> <br /> à l’heure où les enfants se couchent et dorment<br /> <br /> sans broncher ni mot dire<br /> <br /> Et tes nuits qu’agitaient des leçons ânonnées en dodine<br /> <br /> s’emplissaient de désirs comprimés<br /> <br /> Jeux interrompus la veille à la vue de la clef<br /> <br /> par distraction laissée au buffet et au choix<br /> <br /> de bonnes choses en réserve<br /> <br /> gelée de goyave<br /> <br /> liqueur de monbin<br /> <br /> mangues Julie jolies jaunies à point<br /> <br /> fruits fruits confits<br /> <br /> gâteaux secs et lait<br /> <br /> lait condensé chipé toujours meilleur au goût<br /> <br /> Désirs comprimés<br /> <br /> Le beau tour à jouer à Gouloufia<br /> <br /> criminellement coupable<br /> <br /> d’avoir à lui seul<br /> <br /> dévoré à pleines dents<br /> <br /> le gâteau que Nanette<br /> <br /> la bonne vieille marchande<br /> <br /> vous avait en partage<br /> <br /> si gentiment offert<br /> <br /> Désirs comprimés<br /> <br /> Les vacances toujours proches à Rémire<br /> <br /> où les cousins parlaient si librement patois<br /> <br /> crachaient si aisément par terre<br /> <br /> sifflaient si joliment un air<br /> <br /> lâchaient si franchement un rot<br /> <br /> et autres choses encore<br /> <br /> sans crainte d’être<br /> <br /> jamais mis au pain sec<br /> <br /> ni jetés au cachot<br /> <br /> Désirs comprimés<br /> <br /> Les cris de joie feinte<br /> <br /> d’autres diraient de rage<br /> <br /> que tu poussais à perdre haleine<br /> <br /> à la toute dernière fessée reçue pour t’être<br /> <br /> sous le regard acerbe de ta mère offusquée<br /> <br /> et à la gêne polie de tous<br /> <br /> farfouillé le nez<br /> <br /> d’un doigt preste et chanceux<br /> <br /> au goûter-de-Madame-La-Directrice-de-l’Ecole-des-Filles<br /> <br /> Désirs comprimés<br /> <br /> Le mot sale entendu quelque part et qu’un jour<br /> <br /> mine de rien<br /> <br /> tu servirais à table<br /> <br /> au risque de te voir<br /> <br /> ou privé de dessert<br /> <br /> ou privé de sortie<br /> <br /> ou privé des dix sous du dimanche<br /> <br /> à mettre en tirelire<br /> <br /> Désirs comprimés<br /> <br /> dont s’emplissaient tes nuits qu’agitaient<br /> <br /> des leçons ânonnées en dodine<br /> <br /> Et n’enlevaient ce fort goût d’amertume<br /> <br /> que laisse à la bouche au réveil une nuit d’insomnie<br /> <br /> ni la tiédeur du soleil matutinal qui ranimait déjà toutes choses<br /> <br /> ni la volubilité des vieilles édentées en madras calendé<br /> <br /> martelant la chaussée d’aise au sortir du premier office<br /> <br /> où le Dieu-De-La-Veille<br /> <br /> avait été de nouveau loué<br /> <br /> glorifié prié<br /> <br /> et chanté à voix basse<br /> <br /> Et n’enlevaient ce fort goût d’amertume<br /> <br /> que laisse à la bouche au réveil une nuit d’insomnie<br /> <br /> ni l’odeur rose des dahlias du jardin qu’argentait la rosée<br /> <br /> ni les cris savoureux de la rue qu’assoiffaient<br /> <br /> la bié nan-nan<br /> <br /> kôrôssôl<br /> <br /> papaye<br /> <br /> coco<br /> <br /> Et la maison était triste et basse<br /> <br /> où la vie se déroulait mollement<br /> <br /> en bordure de la Rue étroite et silencieuse<br /> <br /> que le bruit de la Ville<br /> <br /> traversait à peine<br /> <br /> […]
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