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Le bar à poèmes
27 mai 2017

Badr Châker al-Sayyâb (1926 - 1964) /‎ بدر شاكر السياب : Testament d’un agonisant

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Testament d’un agonisant

 

O muets, muets cimetières en vos tristes allées,

je hurle, je crie ; je crie, me lamente et dans le silence j’entends

l’austère neige éparpillée dans l’ombre

où se répercutent des pas solitaires. Comme si une bête de fer et de pierre

rongeait la vie : point de vie du soir jusqu’au jour !

Où est l’Irak ? Où est le soleil de ses matins, emporté par un bateau

sur l’eau du Tigre ou du Buwayb ? Où sont les échos des chants

qui palpitent comme ailes de pigeons vers les épis et les palmiers,

accourant de chaque maison, dans le ciel libre,

de chaque colline disparue sous les fleurs des plaines ?

Si je meurs, ô ma patrie, je n’ai pas plus haut désir

qu’une tombe dans tes tristes cimetières, et si je demeure sauf, je

     ne veux rien de la vie

qu’une masure dans tes champs. Pour tes déserts infinis, pour te

     garder de l’infortune,

je donnerais les rues et les faubourgs de Londres !

Peut-être vais-je mourir demain : le mal ronge sans faiblesse

la corde qui retient à la vie les décombres de mon corps, comme

d’une maison

où les murs sont rongés par les vents, et le toit par la course des gouttes.

O frères dispersés du midi vers le nord,

 parmi les chemins et les plaines et jusqu’aux plus hautes montagnes,

fils de mon peuple dans ses villages et ses cités que j’aime tant,

ne reniez pas les bienfaits de l’Irak !

Vous avez habité le meilleur pays, parmi les eaux et la verdure :

le soleil, lumière de Dieu, l’inonde été comme hiver ;

ne l’oubliez pas pour un autre !

C’est un paradis : craignez la vipère qui se glisserait sur sa terre  fraîche !

Je suis mort, et un mort ne ment pas. Je renie toute pensée

si le cœur n’en est pas la source.

O toi, éclat du jour,

inonde l’Irak de ton or ! Car c’est l’argile de l’Irak

qui fait mon corps, c’est l’eau de l’Irak…

 

Traduit de l’arabe par André Miquel

In, « Le Golfe et le Fleuve »

Editions Sindbad / Actes Sud (Unesco), 1977

Du même auteur :

Retour à Jaykour (24/02/2016)

 

Dans la nuit (27/05/2017)

 

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