Max Jacob (1876 – 1944) : Vie et marée
Vie et marée
Quelquefois, je ne sais quelle clarté nous faisait entrevoir le sommet
d’une vague et parfois aussi le bruit de nos instruments ne couvrait pas le
vacarme de l’océan qui se rapprochait. La nuit de la villa était entourée de
mer. Ta voix avait l’inflexion d’une voix d’enfer et le piano n’était plus
qu’ une ombre sonore. Alors toi, calme, dans ta vareuse rouge, tu me touchas
l’épaule du bout de ton archet, comme l’émotion du Déluge m’arrêtait.
« Reprenons! » dis-tu .O vie ! ô douleur! ô souffrances d’éternels !
recommencements ! que de fois lorsque l’Océan des nécessités m’assiégeait !
que de fois ai-je dit, dominant des chagrins trop réels ! hélas!« Reprenons! »
et ma volonté était comme la villa si terrible cette nuit-là. Les nuits n’ont
pour moi que des marées d’équinoxe.
Le Cornet à dés
Chez l’auteur, Paris, 1917
Du même auteur :
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