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Le bar à poèmes
26 mars 2017

Jean-Paul Kermarrec (1949 - ) : Dans la lente lumière des lices

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Dans la lente lumière des lices

 

I

le ciel ce mur

tous ces débris de rêves

 

dégringolant des échelles de la nuit

la mort nous frôle

dès le petit matin

dans l’odeur du pain frais à la croûte craquante

 

le chat nous regarde

afficher sur la ville des soleils en papier

pour la paix dans le monde

 

***

 

nous irons

avec et malgré tout cela

affronter l’insolence

 

et nous ferons la guerre à la peur sournoise

aux angoisses

aux silences gluants

collés dans les couloirs

de l’indifférence et du mépris

 

quel qu’en soi le prix

nous irons

 

II

aigres nos pensées

dans ces sables glaçants

quand nous tombons des marches

de nos escaliers blancs

 

fanées nos histoires

quand passent les enfants

sur des marelles démodées

 

mortelles nos maisons du soir

où des ombres se forment

en grappes rebelles d’acides raisins noirs

 

***

 

allons saisir l’éclair

avant qu’il ne soit trop tard

faisons crier nos cœurs et nos cordages

dans l’œil rouge des tornades

 

enflammons la parole

écumons les secondes

hissons la grand-voile de nos mots

sur la poudrière du temps

 

III

 

ne te retourne pas

engouffre-toi dans les rideaux de la lumière

 

apprivoise l’éclat sous ta paupière

l’instant est si fragile

un peu de sel

sur les hauts bords du jour

 

***

 

connais-tu le sourire de l’enfant

qui joue à te surprendre

à côté de la mort

 

as-tu appris le chant

qu’il fredonne tout bas

sous ses draps étoilés

 

***

 

n’efface pas les traces de tes pieds

sois fier de ton voyage

des nœuds et des poussières

 

le chemin est aride

et le vent souffle amer

marche à l’avant de tes souvenirs

 

IV

 

nous serons dans le ventre des villes

une voix

des tambours

des cantates bestiales

des jardins d’impatiences

 

nous serons le corps

de la femme et du cri

le soleil à même la douleur

l’enfantement du verbe et du songe

 

***

 

nous emporterons les murs blancs des hôpitaux

les chambres et les couloirs

l’odeur des peaux malades

les sueurs et les glaires

toutes les humeurs malignes

et la bouffée de parfums quand passe l’infirmière

 

les matins de froidure

nous dénouerons la chevelure de l’asile

pour que s’échappent sur le gué de l’aurore

les effluves des fleurs et des ombres

et que les fleurs s’en aillent

retrouver les oiseaux

 

V

 

peux-tu vivre

chaque jour que tu vis

à petits pas comptés

loin du carnage et des ruisseaux de sang

 

peux-tu vivre ainsi

à user ton bec serré

sur les pierres froides

de la nuit

 

peux-tu vivre

dans l’ignorance du cri

et l’ennui d’un vol aussi plat

qu’un horizon bouché

 

peux-tu vivre épervier

dans l’ascension des lumières

sans tutoyer la mort

et ta raison d’aimer

 

peux-tu mourir tout de suite

tranquille et sans remords

il est temps de venir goûter la cendre

des chemins de l’aurore

 

VI

 

déjà l’heure

des vents dans le dos

nous poussent et nous glacent

 

le fleuve a faim

il dévore ses rives

outrepasse les bornes

et nous laisse à nos songes

 

le temps crucifie dans le ciel

nos visages d’anges maudits

nos yeux orphelins d’étincelles

et nos piètres godasses

 

nous marchons

taureaux hésitants

dans la lente lumière des lices

 

le matin noir découpe nos membres

nos poitrines s’emplissent du froid

tandis que les gestes des arbres

nous invitent à respirer

 

l’éternité

 

VII

 

as-tu entendu le bruit de la terre

secouer ses vivants

le fracas de la nuit

sous la tempête des crânes

as-tu entendu

le grondement des viscères

sous tes pieds traversés

 

***

 

tu regardes le ciel emporter avec lui

les continents blessés

leurs draps froissés tachés de sang

 

tu te noies de larmes d’impuissance

fige dans la stupeur et le combat de l’ombre

tu es de plomb

 

le jour ne te pénètre même pas

il te recouvre d’éclats te lacère et tu ris

de chagrin

 

VIII

nous envahirons les rues de l’Histoire

nous déploierons nos cris aux fenêtres du monde

nous creuserons la nuit

nous viderons l’espace

nous porterons l’amour aux gueules des fusils

nous laverons l’ennui des tristes banderoles

nous ferons éclater

nos feux aux cœurs des mégapoles

nous lâcherons nos hordes

de chevaux cuir-acier

volcans dans le soleil hennissant leurs fumées

nous serons à la proue des navires de guerre

aux aurores bleuies par les fièvres et le sang

nous serons dans l’ombre

la vibration

le souffle

nous serons l’espoir

dans les fragments de lumière

 

IX

 

les vents sont là parmi les branches

tu les appelles les maîtres de la danse

mais ils n’ entendent pas

ils dansent

 

les morts aussi derrière les murs

ils dansent ils dansent

ils causent avec les vents ils causent

murmures à l‘oreille du néant

des choses

 

même les mouches

sur les flaques de sang

elles dansent elles dansent

tout en suçant la peau des morts

la peau des morts et des vivants

les mouches ne font pas semblant

elles boivent aux fontaines

du vent

 

et les avions dans le ciel bleu

ils dansent ils dansent

tout en crachant le feu

et leurs chapelets de bombes

sur les pierres du silence

de dieu

 

X

 

le chien cherche son ombre

avant de s’y lover

dans son sommeil tout noir

 

ta vie semble pareille

 

tes lumières sont blafardes

elles se suspendent aux cauchemars

qui tremblent et froissent tes beaux draps

 

tu te retournes

l’œil hagard

comme celui du chien

pour t’enfoncer encore plus loin

dans l’épaisseur terne du brouillard

 

si l’éclair te réveille

tu aboies sans savoir

et tu mords dans la chair

de ton ombre allumée

 

tu cherches alors ton chien

pour te rassurer un peu

sans doute

 

XI

 

les enfants nous font toucher du doigt

des lendemains qui leur ressemblent

 

ils cachent mal dans leurs yeux les étoiles filantes

et le ruisseau des larmes

 

la nuit a parfois pour eux

un sale goût de misère

 

pendant que nous tuons le jour à coups de chansonnettes

ont-ils eux dans le noir la place utile au rêve

 

les enfants nous font toucher du doigt

des jours anciens qui nous ressemblent

 

XII

rire a quelque chose à voir avec la mort

la grimace

le grincement de dents

la contorsion

saut périlleux

dans la respiration

cascade arrêtée

hoquet intérieur

haut-le-corps

où l’âme sort

par où sort la lumière

une margelle d’espoir

un appui sur le silence

bouche d’où jaillissent des mots en forme de grenouilles

regard genre de fosse commune où naissent et meurent les étoiles

toutes les vallées de la main

et de la nuque au genou

celles où s’invite l’amour et vibrent les ruisseaux

 

rire est une courbe molle

un défi à la pesanteur

aux lois de l’équilibre

de la gravité

la rencontre magique de toutes les diagonales

où les horizons se déverrouillent

où les verticales se déboulonnent

où les guerres n’existent pas

 

l’homme est un éclat

de rire

 

Revue « Hopala, N° 31, Mars – Juin 2009 »   

Hopala, 29800 Landereneau

 Du même auteur : « Je ne parlerai pas de cette femme… » (07/03/2015)

 

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