Alain Le Beuze (1958 - ) : suites des ténèbres
suites des ténèbres
De tout paysage garder intense la transe du passage
Aimé Césaire
- Le lieu affleure de l’impatience des mots
Otage des indices que l’écriture lève, la lecture
le dérobe à son sommeil de glaise, lui transmet l’éclat
de l’inachevé, les prétextes du sens.
- Le lieu se fait alors à nos ténèbres
en bas
la mer laborieuse
décadastrée
archive sa litanie de cailloux
envie de déserter
loin des falaises prétentieuses
de trahir
élaguer le silence
serait justice
Assaut de rocs
fortifiant le silence
parfois des fleurs fortuites
retiennent le vertige de la terre
dans les rocs
les vagues scandent un espace
où le cri des oiseaux se fossilise
où les vents se fracturent
aux pentes incestueuses
Au delà des fougères les rives se décousent dans
l’alternance de l’eau
sur les galets
des brins d’herbe ignorent leur imposture
et là une barque
qu’incendie le silence torrentiel des racines
se dresse dans la tourbe de ses planches
rébellion d’herbes
dans le délabrement de son ombre
Ici
l’eau décrie la générosité des terres
où des herbes endémiques s’aménagent
une nuit désaccordée
le sable répond à l’inflation des parois
sans démêler l’insomnie des nuances
sans interrompre la biographie des ténèbres
Là-bas
sur le talus
un drap défend
son cri de neige
Au lavoir
les phrases fulminent
sous le battoir des mots
les mains exigent sûrement
la confession des draps
Sur les haies
le linge
otage du vent
écosse ses énigmes
la lumière use
ses hardes d’ombre
Le blanc fleurit soudain
dans l’odeur des primevères
Dans ce lieu
tressé de pluies et de vents
le dialecte des ombres
rempaille la nuit
toits dévoyés sous les gestes
renégats du lierre
dynastie des fougères
dans le chemin des analphabètes
ici les herbes s’entredéchirent
mâchonnant la conjuration du vent
il arrive que des fleurs entre
une accalmie d’ombre donnent une réplique
à la lumière
Au fond du jardin, derrière les hautes herbes qui
raccommodent l’illusoire, la cabane de planches
repeinte de lumière grince dans son ombre apeurée.
Son toit de tôle presque aveugle sous les flatteries
du lierre où carillonnent les scènes d’oiseaux résiste
encore. Les abeilles affairées y tressent une parole de miel.
La porte ne ferme plus sur les féroces odeurs de chiotte qui
roucoulaient là jadis. Les intempéries de la rouille l’ont poussé
dans un sommeil d’orties.
La lumière paresse là parmi ces outils encore tout crottés de
leurs souvenirs de terre.
deux rails égarés
dans ce lieu
où l’herbe en infraction
fugitive
lègue au vent ses odeurs incestueuses
les averses y griffonnent
leurs arpents de rouille
et dans un wagon oublié
amarré aux rancunes des ronces
le cri turbulent du vent
rallume de vieux rêves
un vent carde des palabres d’herbe
sur une tombe
chahute des ombres mal essorées
sur la croix
un christ lépreux que vénèrent des pluies
dévotes
sous les graviers
les racines doivent régler
leurs comptes
Christ trahi
par les sortilèges des pluies
mâchuré
sous la rouille des clous
au bas de la croix
un fouillis d’orties
fomente la débâcle du bois
les herbes rabâchent
des rêves nerveux
forgent un silence sacrificiel
Revue " Poésie Partagée, Eté 1987"
Editions Folle Avoine, 35850 Romillé,1987
Du même auteur :
Hauteur du lieu (extraits) (15/09/2014)
Exil (13/09/2017)
La charrette (13/09/2018)