Alexis Gloaguen (1950 - ) : « J’arrive en cette jungle… »
J’arrive en cette jungle creusée non loin des routes, au revers de
notre monde. Là, d’anciens talus, encerclés par l’étang, forment des
îles géométriques. Sous les branches couve une eau huileuse, ennuagée
de noir. A la lumière du soir, elle éclot en gel de cristaux, en vitraux
de bulles, lacérée en surface par le geste des saules, animée en profondeur
par la vie qui ondoie entre les feuilles d’hiver.
Je m’installe sur un promontoire de joncs. En transparence, les
éphémères montent hors des gobages qui marquent le liséré de l’eau. Ils
survolent les arbres renversés, l’affairement d’un animal dans les fourrés.
Les reflets se réverbèrent sur les troncs obliques, les balaient de séismes
et d’orages. Un fantôme de soleil luit comme un cœur cellulaire. Un reste
de chaleur m’atteint à l’extrême nord de la peau.
Un monde se dispose comme en attente. Et je guette ce que présage
l’alarme d’un rouge-gorge. Rien ne vient, le long du talus inondé. Je reste
là, baigné par l’air, à digérer la pureté de l’absence, à me nourrir en miroir,
à décider d’une immersion totale.
(étang de Noyalo)
Revue « Le nouvel Ecriterres, N°2, Mai 1990 »
29720 Plonéour-Lanvern
Du même auteur :
« Epuisement… » (29/07/2017)
Donegal Bay (29/07/2018)