Hubert Juin (1926 – 1987) : V.H.
V. H
Pour Paul Otchakovsky -Laurens
Dans les grands arbres rideau qui coupe l’œil là-bas
au fond avec les ramiers malgré tant de poèmes tombés
parmi les feuilles le lin les ors les mots vifs emportés
où sont peut-être les mortes qui parlent Funèbre abri
décomposé Le cœur frappe L’air sacré dressé sur le rien
le cillement à peine d’une porte fermée entre deux vers où
commence le recommencement Et la main peine s’acharne
grave les lettres Le poème cérémonieux dit le dedans l’
impur les plis les lèvres du sexe Ne parle pas Désigne
parmi les ramiers maintenant rameutés dans le creux
du jour ce qui barre les lèvres Alors – dit-il – l’océan
se retourne et c’est le rideau levé des arbres là-bas
au fond lorsque s’évanouit l’éclat des maisons les yeux
ce qui porte le nom depuis les os jusqu’aux chairs ô
périssables déjà fanées
Et tard sont venus les hommes buissonniers coupant par
la traverse Et tard il pleuvait L’automne roux pesant
passait au large avec les ramiers dans le fond de la forêt
dissimulés plumages chauds dans les arrière-pays Les
branches si lourdes avec l’automne tardif et les pluies Ils
parlaient à l’envers du regard où se niche la pluie l’or
vieux Puis ils revenaient à la charge les ramiers cachés
dans les hêtres lourds Puis ils repartaient sans visages
et l’océan retourné malgré tant de poèmes s’évadait
loin des cages loin des oublis de l’enfance Depuis le temps
les automnes avec rien dans le paysage qu’un paraphe
d’eau Quelque signe effacé traversé d’arbres Sans doute
la voix se brisait-elle Mais – dit-il – il faut hisser les fleuves
lever les pierres toiser l’ombre L’automne passait au loin
au fond des choses tel un bras armé de faux
Les terres assoiffées pourtant Les grandes mains dessus
les phrases comme si le commencement n’avait pas eu
lieu Les mots pourtant Et ils s’effacent plumages vains
ébouriffés L’oeil pourtant posé tel un mont Funèbre
rideau des grands arbres barrière où se casse le bruit
se brise en éclats Les ramiers s’égaillent dans l’automne
luisant de branches Un œil Crevé d’échardes
Alors la moisson s’alourdit Fantôme Insaisissable
Echarpe dénouée Livrée aux épines Chair profonde
creusée labourée par les chevaux vainqueurs Plis
désenlacés murmures des lèvres dans le muet du corps
Ce sont - dit-il – des haies vagabondes qui ferment le
paysage le condamnent le hissent jusqu’à la fenêtre
la plus haute avec le chant du soir
Ce sont des maisons pourtant des demeures âcres et
poreuses où la servante à perdre haleine se met nue Elle
revient d’un long désir et presse une écharpe de laine
entres ses lèvres sous son ventre Le poème se dénoue et
l’odeur d’algue le porte jusqu’au cri profond jusqu’à
l’œil luisant humide là-bas au fond d’un corps
retourné jusqu’à proclamer enfin son nom L’
œil parle dans le suint la paille du pubis les grands
arbres en rideau qui interdisent d’aller plus loin
Dans le passage d’un dix-huit octobre après-midi la
servante emportée par les chevaux de pluie c’est l’automne et les
arbres pourtant sont immobiles le front coiffé de feux les mains
lasses maintenant couvrent les seins s’efforcent d’ajuster les
linges volent à la découverte du corps désert l’habillent de mots
La morte qui parle est dans la forêt dessinée Elle s’éloigne
dans le rouge avec les baies les ramiers revenus du dedans les
ailes gluantes encore Le poème pourtant et tant de poèmes qui
sont inutiles Leurs ongles crissent contre la vitre là-haut glissent
et perdent l’océan des cuisses la mince nuée du nom secret
dénudé flamboyant parmi les draps froissés le jeu des doigts
et la servante se dilue s’enfonce s’oublie aux pentes de la
rêverie là-bas dans le fond du paysage où sont les airelles
et le gémir funèbre L’œil conquiert à nouveau la lande le
jour d’octobre et l’automne comme un manteau de
glycines Puis on ne la voit plus Elle s’est enfouie en elle Le
nom s’est perdu en rayant les lèvres et donnant la honte au
duvet du sexe
Le cœur le peut-il Il bat et pourtant non loin des maisons
il y a des fermes avec le remembrement des terres Puis les
plaines qui sont griffues. Et l’ancolie qui recueille l’eau la
feuillette et jette les pages striées de consonnes de lettres
majuscules de noms qui sont des masques Puis le chemin
s’en va le ciel sur son dos Puis le rideau des arbres se déroule
coupe le paysage le plie rangeant les couleurs des astres les os
toutes les parures de la morte qui parle Puis le monde se résorbe
quitte l’œil lui échappe s’écarte d’un mouvement alerte Tant
de poèmes ont roulé vers le bas-côté de la route Déjà Tant
de mot piégés rongés roulés en boule Papiers mis au secret
interdits Les ramiers dorment plumage peints là-bas à l’
autre bord de la parole Un corps ouvert ce dix-huit octobre
tel un roncier
Lui sait qu’il y avait ici des livres aussi lointains que des lieux
d’herbe Ils s’acheminent doucement vers le rien et les mains
passent ainsi les voleurs de légende lorsque les enfants sont pris de
fièvre et gémissent parce que ce dix-huit octobre les éloigne
les bâillonne les offre aux brefs recours des pelouses ordonnées
Le théâtre hâtif qui fait les routes domestiques les mots
asservis l’ortie consentante et triste Il y en a pourtant
qui naviguent seuls Il y en a – dit-il – qui nous parlent
nous disent Disent le nom de la servante dedans le lit
défait lorsque l’or des cheveux écrit le sein captif la main
perdue dans le dedans des lourdes cuisses Il y en a – dit-il –
qui sont semblables aux grands arbres là-bas au fond lorsque
l’automne et ses pluies chassent en plaine Et tant tant de
poèmes noués pour retenir un dix-huit octobre aux dents
de feuilles Alors les ramiers rient là-haut dans l’armoire
close dessus des odeurs de lavande et de fruits frais
Il n’est plus rien que l’énigme d’un nom perdu Deux lettres
tracées dans l’épaisseur des tours et l’autre la seconde désigne
le bas l’oubli et ce qui demeure du chemin lorsqu’il n’y plus de
chemin La statue de rien qui s’élève s’édifie dans le dedans pareille
à un cygne égaré dans le pays imaginaire des sources bleues des
eaux vêtues de neuf Il reste un plumage d’oiseau taiseux
Encore deux ou trois sursauts Trépas Une goutte de sang barrant
le bec Le noir pourtant Et tant tant de poèmes depuis
accumulés au chevet des grands arbres avec les pluies Et dans
ce silence tumultueux L’océan renversé La servante agite
la main Elle est couverte Oublieuse Oubliée Vaines lèvres
Livres Et le vent soudain debout.
GLOSE INJUSTIFIEE
« Relisez une pièce de vers qui s’appelle les Puits de L’Inde ; ce sera un
chef-d’œuvre, ou une orgie d’imagination, selon que vous aurez ou non des
facultés sympathiques à celles du poète. Quant à moi, j’avoue que j’en ai été
horriblement choqué à la lecture. Je ne pouvais approuver ce désordre et cette
débauche de description. Puis quand j’eus fermé le livre, je ne pouvais plus
voir autre chose dans mon cerveau que ces puits, ces souterrains, ces escaliers,
ces gouffres par où le poète m’avait fait passer. Je les voyais en rêve, je les
voyais tout éveillé. Je n’en pouvais plus sortir, j’y étais enterré vivant. »
Georges Sand, Consuelo, chap. xcv.
Le dix-huit octobre mil neuf cent
soixante-quinze. Saint-Lucien
La Nouvelle Revue Française, N° 285, Septembre 1976
Editions Gallimard,1976
Du même auteur :
L’Aube brève (03/07/2015)
« Où sont les appels de la lumière… » (11/12/2017)