Michel Leiris (1901 – 1990) : Léna
Léna
Je pense à toi
et ton image bâtit autour de moi une forteresse à
tel point inébranlable
que ni le bélier des nuages
ni la poix molle de la pluie
ne peuvent rien
ô ma citerne de silence
contre le mur percé d'étoiles dont tu m'as
circonscrit
Les chiens rampent et les gens
jouent des coudes ou poussent des cris
Le manège sans orgue ni flonflons du monde
tourne
avec son auréole d'yeux d'enfants
jeu de bagues des Paradis
Je rêve en toi
ma citadelle sans fossés ni pont-levis
sans murs sans tours sans pierres ni mâchicoulis
Je m'endors en buvant le vin très dense de ton ombre
qui couvre de son architecture sans autre poids que celui qui se
compte aux balances d'obscurité et de lumière
tous les monts et tous les champs
toutes les vignes et tous les pays
Jadis
ma bouche narguait le beau temps
alors que mes regards ne redoutaient rien tant
que l'ouragan de l'univers
Ignorant si j'étais une bête
un arbre
un homme
des vents absurdes me drossaient
mes bras en tous sens battaient l'air
et mon destin tombait comme tombent des pommes
Mais aujourd'hui
ô toi si pâle
parce que tu es mon ciel et le double miroir qui multiplie les murs
et verse l'infini dans ma prison
j'écoute le sifflet des nuages
je ne crains plus rien ni personne
je parle aux neiges de l'hiver
Haut Mal
Editions Gallimard, 1943
Du même auteur :
Liquidation (25/06/2014)
Les veilleurs de Londres (25/06/2015)
Présages (08/07/2017)
Hymne (08/07/2018)
Les pythonisses (08/07/2019)
Le fer et la rouille (08/07/2020)
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Avare (08/07/2022)
La Néréide de la mer Rouge (08/07/2023)