Marc Rombaut (1939 - ) : « La nuit s’est battue toute la nuit… »
La nuit s’est battue toute la nuit contre la nuit.
Au lever du jour, la terre avait le visage
de ses transes nocturnes. Il lui a fallu tuer
tant de fantômes qu’elle s’étonna de la joie
sereine de l’aube. Tout prenait forme,
couleur, goût, odeur de bonheur, d’amour,
de jour. Une respiration nouvelle
s’emparait d’elle, une aspiration
à être.
Tu t’ouvres comme la paume du soleil.
Interdit je me jette en toi ;
âpreté de ma bouche
dévoreuse.
Constellée d’éclats tu murmures
la lente possession
des corps
et le geste dépouillé qui
enlace le désir.
Tu te fends d’un nuage noir
soudaine blancheur d’une
lumière chaude et nue
tes seins s’arrondissent à mes
lèvres
chaleur tiède .
En toi les eaux dormantes
mes doigts dévoilent ton ventre
où l’iris secret s’abreuve de vie
lèvres pulpeuse qui sont
fruit de la vague.
Le vent te frôle
sable humide tu ondules au passage
de mes mains
j’entends le bruit de la vie
te parcourir
bruit de mer.
Les mouvements de ton corps nu
renversent ton visage sauvage
et transparente, ciel sans eau
tu délivres nos cris, tu dénoues
nos chairs.
Miroirs solitaires, soleils émigrés
dans les fleuves incandescents
nous portons le temps
au
centre de nous-mêmes.
Ma mémoire a goût de poussière.
Mon corps s’apprend à vivre.
Tes jambes ouvertes
sourire rose
chantent une marée d’écume.
A l’aube de nos corps, le jour
commence.
Nuit et Parole
Editions Saint - Germain - des – Prés, 1975