Charles Ngandé (1934-) : Indépendance.
Indépendance
Nous avons pleuré toute la nuit
Jusqu’au chant de la perdrix
Jusqu’au chant du coq
Nous avons pleuré toute la nuit
O Njambé tu étais pourtant là
Quand on coupait les oreilles
Quand on coupait le cordon ombilical de notre clan
Quand on fracassait le crâne de notre Ancêtre
Quand on brûlait le chasse mouche de notre aïeul
Ina ô ô ô ô !
Où retrouver la tombe de l’Ancêtre
Perdus nous étions comme un mouton qui casse sa corde.
Ina ô ô ô ô !
Dans quelle source repimenter notre sang
Perdus nous étions comme pauvre chien bâtard
Errant sur la place du marché !
Nous avons pleuré toute la nuit
L’étape a été longue
Et la perdrix a chanté timidement
Dans un matin de brouillard
Chants illuminés de cataractes d’espérance
Espérance d’une aurore aux dents de balafons.
Et la perdrix s’est tue
Car son chant s’est éteint dans la gorge
D’un python.
Et le tam-tam s’est tu
Et le grelot n’a plus ri sur la jaune savane
Et le deuil a planté sa case dans la cour du village.
Sang !Sang !Sang !
Torrents de sang !
Femmes, terrez-vous le soir dans vos enclos :
Le fusil passe.
Nous avons pleuré toute la nuit
Et le coq a chanté sur la tombe de l’Ancêtre
Ah ! ces os poussiéreux
qui se mettent à gambader
comme des antilopes et comme des gazelles
Njambé, c’est bien toi qui a ourlé
sur la tête du coq cette langue de soleil parce
que son gosier roule une cascade de lumière
Et le coq a clamé l’aube du grand départ
Et le coq a chanté sur le front de la pirogue
IN-DE-PEN-DAN-CE !
Venez, filles de mon peuple
Le soleil s’est levé
Voilà la tombe de l’Aïeul
Et le grand fromager des vertes parentalies
Et la source sacrée où nous repimenterons
La force de notre sang
Et voici le nombril de la grande famille
Venez, filles de mon peuple
Vaillants carquois de nos flèches emplumées
Remontez, brisez vos parcs, femmes longtemps en jachère.
Remontez sur la croupe des étoiles filantes
Venez, battez des mains, crépitez et dansez
Sur un pied, sur deux pieds, sur trois pieds
Tambours, grelots, bois sec
Grelots, tambours, bois sec
Rythmez le mâles vibrements d’un peuple qui se lève
Que vos rires se mêlent aux antiques sanglots.
Hommes de mon peuple
Venez tous, venez toutes
Nous allons tous dresser une même couronne
Ave la liane la plus dure de vierge forêt
Sous le grand fromager où nous fêtions nos parentalies
Et le soir, nous danserons autour du même feu
Parce qu’ensemble, sur la tombe de l’Aïeul,
Nous aurons fait germer une grande Cité.
In, Lilyan Kesteloot « Neuf poètes camerounais : anthologie»,
Editions Clé, 1971