Jean - Pierre Schlunegger (1925 - 1964) : Foehn
Foehn
Novembre. Un fin crachin, une buée
Têtue, portant l’hiver
Sur la vitre perdue où les raisins, les fées
Transparentes, les vins rêvent d’horizons clairs.
Lavaux. Plus loin, la limite des vignes.
J’y ai passé quand mon père veillait sa mort,
Avant guerre. La même route vers le nord
Et le même brouillard, les mêmes signes.
Est-ce le monde, ce découpage irréel ?
Est-ce le monde, ce retour d’images brèves ?
Soudain j’ai peur d’être si lourd, si chaud de rêves.
Je suis hanté d’une longue terreur,
Imprégné d’herbe rousse, de fougères, de bois,
Et j’apparais, un peu hagard, à la lisière
Des forêts, noires sous le foehn, comme autrefois,
Pour m’échouer contre la porte familière
Ouverte sur la nuit : j’y hume le chevreuil
Le doux retour du fils, la flamme, la lumière,
Dans les regards heureux. Mais je suis voyageur.
Je dis bonjour, je dis bonsoir, levant mon verre.
La pluie reprend. On a changé les cœurs.
Je revois la forêt, je vois la route immense,
La sente herbeuse où, pâle, je m’enfuis
Sans retour et pourtant jamais sans espérance,
Et joue à joue avec les larmes de la nuit.
Clairière des Noces
Editions Aujourd’hui, Lausanne, 1959
Du même auteur :
Postface (09/12/2015)
Le mur (09/12/2016)
Quand je me trouve seul (09/12/2017)
Retour (09/12/12/2018)
Le basilic (09/12/2019)
Feu de grève (09/12/2020)
La rose au fond des mers (09/12/2021)
Liberté (09/12/2022)
Reflets (08/12/2024)