Charles d’Orléans (1394 – 1465) : « En la forêt d'Ennuyeuse Tristesse... »
En la forêt d'Ennuyeuse Tristesse
Un jour m'advint qu'à part moi* cheminais, *tout seul
Si rencontrai l'Amoureuse Déesse
Qui m'appela, demandant où j'allais.
Je répondis que, par Fortune, étais
Mis en exil en ce bois, long temps a,
Et qu'à bon droit appeler me pouvait
L'homme égaré qui ne sait où il va.
En souriant, par sa très grande humblesse,
Me répondit : « Ami, si je savais
Pourquoi tu es mis en cette détresse,
À mon pouvoir volontiers t'aiderais ;
Car, jà piéça*, je mis ton cœur en voie** *depuis longtemps, ** en route
De tout plaisir, ne sais qui l'en ôta ;
Or me déplaît qu'à présent je te vois
L'homme égaré qui ne sait où il va.
- Hélas ! dis-je, souveraine Princesse,
Mon fait savez, pourquoi le vous dirais ?
C'est par la Mort qui fait à tous rudesse,
Qui m'a tollu* celle que tant aimais, * enlevé
En qui était tout l'espoir que j'avais,
Qui me guidait, si bien m'accompagna
En son vivant, que point ne me trouvais
L'homme égaré qui ne sait où il va.
« Aveugle suis, ne sais où aller dois ;
De mon bâton, afin que ne fourvoie,
Je vais tâtant mon chemin çà et là ;
C'est grand pitié qu'il convient que je sois
L'homme égaré qui ne sait où il va ! »
Du même auteur :
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