René Char (1907 – 1988) : Biens égaux
Biens égaux
Je suis épris de ce morceau tendre de campagne, de son accoudoir de
solitude au bord duquel les orages viennent se dénouer avec docilité, au mât
duquel un visage perdu, par instant s'éclaire et me regagne. De si loin que je
me souvienne, je me distingue penché sur les végétaux du jardin désordonné
de mon père, attentif aux sèves, baisant des yeux formes et couleurs que le vent
semi-nocturne irriguait mieux que la main infirme des hommes. Prestige d'un
retour qu'aucune fortune n'offusque. Tribunaux de midi, je veille. Moi qui jouis
du privilège de sentir tout ensemble accablement et confiance, défection et
courage, je n'ai retenu personne sinon l'angle fusant d'une Rencontre.
Sur une route de lavande et de vin, nous avons marché côte à côte dans un
cadre enfantin de poussière à gosier de ronces, l'un se sachant aimé de l'autre.
Ce n'est pas un homme à tête de fable que plus tard tu baisais derrière les
brumes de ton lit constant. Te voici nue et entre toutes la meilleure seulement
aujourd'hui où tu franchis la sortie d'un hymne raboteux. L'espace pour
toujours est-il cet absolu et scintillant congé, chétive volte-face ? Mais,
prédisant cela j'affirme que tu vis ; le sillon s'éclaire entre ton bien et mon mal.
La chaleur reviendra avec le silence comme je te soulèverai, Inanimée.
Fureur et mystère
Editions Gallimard, 1948
Du même auteur :
Congé au vent (02/05/2014)
« J’ai ce matin, suivi des yeux Florence … » (02/05/2015)
« La contre-terreur c’est ce vallon… » (02/05/2016)
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Fièvre de la Petite-Pierre d’Alsace (02/05/2018)
Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud (01/05/2019)
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