Jean Malrieu (1915 – 1976) : Pays natal
Pays natal
Nous sommes revenus dans cette ville
Cherchant dans la foule quelqu’un dont on ne connaît que le nom
Et son visage a dû changer et son adresse s’est perdue.
C’est la fin de l’été. L’air a ce goût de citron.
L’été incline son parasol sur le parfum chaud des salons de coiffure.
Rien n’a changé. Sur la place s’amoncellent
Les cageots de fruits, les ombres mortes, les odeurs amères des basses
eaux de la rivière.
Et, de ce côté, les rues sortent toujours des faubourgs.
Nous avons marché avec des morts.
Car notre ville est une ville de mémoire et sans histoire.
L’été poreux, l’âme respire. A cette heure, le soir,
On apportait les chaises de jardin au coin du boulevard, sous un ciel empli
d’hirondelles.
Les âmes dorées par le couchant
Sont parties vers d’autres drames. Qui les reconnaîtrait ?
Les ombres sont restées allongées au pied des murs.
Personne ne m’appelle. Je ne me retournerai pas.
A pas lents, pour qu’ils soient moins définitifs, on regagne la banlieue.
De là-haut, on montre du doigt le jardin de buis
Où tante Adolphe arrosait ses dahlias,
La cheminée du boulanger
Et, là, la tête des platanes d’une avenue en partance.
On monte dans la nuit. Et tout s’explique mieux
Quand, au dernier tournant, la chevelure
Tombe
Sur les yeux fermés.
Le nom secret, suivi de La vallée des Rois
Pierre Jean Oswald éditeur,14600 Honfleur,1968
Du même auteur :
Le veilleur (14/11/2014)
Saison dorée (14/11/2015)
Nuit d’herbe (14/11/2016)
La joie (14/11/2017)
Le plus beau jour (14/11/2018)
Levée en masse (14/11/2019)
Le mal du temps (13/11/2020)
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