Gaston Miron (1928 – 1996) : Poème de séparation 1, 2
Poème de séparation 1
Comme aujourd'hui quand me quitte cette fille
chaque fois j’ai saigné dur à n’en pas tarir
par les sources et les noeuds qui s’enchevêtrent
je ne suis plus qu’un homme descendu à sa boue
chagrins et pluies couronnent ma tête hagarde
et tandis que l’oiseau s’émiette dans la pierre
les fleurs avancées du monde agonisent de froid
et le fleuve remonte seul debout dans ses vents
je me creusais un sillon aux larges épaules
au bout son visage montait comme l’horizon
maintenant je suis pioché d’un mal d’épieu
christ pareil à tous les christs de par le monde
couchés dans les rafales lucides de leur amour
qui seul amour change la face de l’homme
qui seul amour prend hauteur d’éternité
sur la mort blanche des destins bien en cible
je t’aime et je n’ai plus que les lèvres
pour te le dire dans mon ramas de ténèbres
le reste est mon corps igné ma douleur cymbale
nuit basalte de mon sang et mon coeur derrick
je cahote dans mes veines de carcasse et de boucane
la souffrance a les yeux vides du fer-blanc
elle rave en dessous feu de terre noire
la souffrance la pas belle qui déforme
est dans l’âme un essaim de la mort de l’âme
Ma Rose Stellaire Rose Bouée Rose Ma Rose Éternité
ma caille de tendresse mon allant d’espérance
mon premier amour aux seins de pommiers en fleurs
dans la chaleur de midi violente
Poème de séparation 2
Tu fus quelques nuits d’amour en mes bras
et beaucoup de vertige, beaucoup d’insurrection
même après tant d’années de mer entre nous
à chaque aube il est dur de ne plus t’aimer
parfois dans la foule surgit l’éclair d’un visage
blanc comme fut naguère le tien dans ma tourmente
autour de moi l’air est plein de trous bourdonnant
peut-être qu’ailleurs passent sur ta chair désolée
pareillement des éboulis de bruits vides
et fleurissent les mêmes brûlures éblouissantes
si j’ai ma part d’incohérence, il n’empêche
que par moments ton absence fait rage
qu’à travers cette absence je me désoleille
par mauvaise affliction et sale vue malade
j’ai un corps en mottes de braise où griffe
un mal fluide de glace vive en ma substance
ces temps difficiles malmènent nos consciences
et le monde file un mauvais coton, et moi
tel le bec du pivert sur l’écorce des arbres
de déraison en désespoir mon coeur s’acharne
et comme, mitraillette, il martèle
ta lumière n’a pas fini de m’atteindre
ce jour-là, ma nouvellement oubliée
je reprendrai haut bord et destin de poursuivre
en une femme aimée pour elle à cause de toi
(La marche à l'amour)
L’homme rapaillé,
Editions Typo, Montréal,1998
Du même auteur :
La marche à l’amour (30/08/2014)
Les siècles de l’hiver (30/08/2015)
Monologues de l'aliénation délirante (30/08/2016)
Ma femme sans fin (07/08/2018)
Pour retrouver le monde et l’amour (30/01/2022)
Compagnon des Amériques (30/01/2023)
« Chaque jour je m’enfonce... » (30/01/2024)