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Le bar à poèmes
28 janvier 2020

Benjamin Péret (1899 – 1959) : « Le feu vêtu de deuil »

 

G005610_lg_1_Photographie de Man Ray

 

 

 

Le feu vêtu de deuil jaillit par tous ses pores

La poussière de sperme et de sang voile sa face tatouée de lave

Son cri retentit dans la nuit comme l’annonce de la fin des temps

Le frisson qui se hâte sur sa peau d’épines court depuis que le maïs se lisse

     dans le vent

Son geste de cœur brandi à bout de bras s’achève en cinquante-deux ans dans

     un brasier d’allégresse

Lorsqu’il parle la pluie d’orage excite les réflexes des lueurs enfouies sous la

     cendre des anciens rugissements que les lions de feu lancent en s’ébrouant

Il écoute et n’entend couler que le torrent de sa sueur d’or avalée par le Nord

     noir

Il chante comme une forêt pétrifiée avec ses oiseaux sacrifiés en plein vol dont

     l’écho épuisé traîne le ramage qui va mourir

Il respire et dort comme une mine cachant sous des douleurs inouïes ses joyaux

     de catastrophe  

Quand l’aile chatoyante de l’aube se perdait dans les gouffres du crépuscule

     habité de gestes mous

quand les larmes du sol éclataient en gerbes infernales d’années sans nuits

les cierges s’allumaient de toutes leurs griffes à futur sang fidèle

pour que plonge dans un sommeil vidé de rêves d’ancêtres exigeants

le maître de la vie qui jette des injures aux gueules bavant la flamme qui

     l’anime

pour que l’homme trouve là-haut la route des grands miroirs d’eau bruissants

     de lances de lune

et là-bas des ciels de lit qui chantent un air de jeune fille revenant de la fontaine

     mouchetée de vols paresseux et flasques où deux yeux luisent comme la

     paroi suintante d’une caverne qui attend la vie

Nul n’aurait pu dire où commençait la mer puisque les fleuves rentraient dans

     l’œuf que Tlaloc rosée qui ne s’était pas fait reconnaître ne cachait pas

     encore dans sa gueule de tigre

Cependant dans la nuit vagissante le regard du nouvel an vient de s’allumer à

     celui de l’aigle qui pique vers le sol

Nouvel an à facettes de cristal où le profane ne découvre qu’une trombe de

     poussière aspirant des échos calcinés par un dieu toujours vainqueur

et des paroles noyées dont le corps momifié flotte flotte et s’envole d’un coup

     d’aile dans un rais de lumière qui s’éteignant les rejettera sur la terre pour

     qu’elles donnent des fruits d’obsidienne

Les hommes jaillissaient de l’ombre comprimée à l’ouest du rayon vert une

     graine à la main comme un fantôme aux yeux

Il est temps disaient-ils que la terre secoue sa chevelure vivante selon le rythme

      des airs du jour en pyjama

 

Air mexicain

Librairie Arcanes, éditeur, 1952

Du même auteur :

Epitaphe sur un monument aux morts de la guerre (28/07/2014)

Allo (28/07/2015)

Le congrès eucharistique de Chicago (08/09/2016)

Des cris étouffés (21/09/2017)

Se laver les mains (29/01/2019)

 

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