Benjamin Péret (1899 – 1959) : « Le feu vêtu de deuil »
Le feu vêtu de deuil jaillit par tous ses pores
La poussière de sperme et de sang voile sa face tatouée de lave
Son cri retentit dans la nuit comme l’annonce de la fin des temps
Le frisson qui se hâte sur sa peau d’épines court depuis que le maïs se lisse
dans le vent
Son geste de cœur brandi à bout de bras s’achève en cinquante-deux ans dans
un brasier d’allégresse
Lorsqu’il parle la pluie d’orage excite les réflexes des lueurs enfouies sous la
cendre des anciens rugissements que les lions de feu lancent en s’ébrouant
Il écoute et n’entend couler que le torrent de sa sueur d’or avalée par le Nord
noir
Il chante comme une forêt pétrifiée avec ses oiseaux sacrifiés en plein vol dont
l’écho épuisé traîne le ramage qui va mourir
Il respire et dort comme une mine cachant sous des douleurs inouïes ses joyaux
de catastrophe
Quand l’aile chatoyante de l’aube se perdait dans les gouffres du crépuscule
habité de gestes mous
quand les larmes du sol éclataient en gerbes infernales d’années sans nuits
les cierges s’allumaient de toutes leurs griffes à futur sang fidèle
pour que plonge dans un sommeil vidé de rêves d’ancêtres exigeants
le maître de la vie qui jette des injures aux gueules bavant la flamme qui
l’anime
pour que l’homme trouve là-haut la route des grands miroirs d’eau bruissants
de lances de lune
et là-bas des ciels de lit qui chantent un air de jeune fille revenant de la fontaine
mouchetée de vols paresseux et flasques où deux yeux luisent comme la
paroi suintante d’une caverne qui attend la vie
Nul n’aurait pu dire où commençait la mer puisque les fleuves rentraient dans
l’œuf que Tlaloc rosée qui ne s’était pas fait reconnaître ne cachait pas
encore dans sa gueule de tigre
Cependant dans la nuit vagissante le regard du nouvel an vient de s’allumer à
celui de l’aigle qui pique vers le sol
Nouvel an à facettes de cristal où le profane ne découvre qu’une trombe de
poussière aspirant des échos calcinés par un dieu toujours vainqueur
et des paroles noyées dont le corps momifié flotte flotte et s’envole d’un coup
d’aile dans un rais de lumière qui s’éteignant les rejettera sur la terre pour
qu’elles donnent des fruits d’obsidienne
Les hommes jaillissaient de l’ombre comprimée à l’ouest du rayon vert une
graine à la main comme un fantôme aux yeux
Il est temps disaient-ils que la terre secoue sa chevelure vivante selon le rythme
des airs du jour en pyjama
Air mexicain
Librairie Arcanes, éditeur, 1952
Du même auteur :
Epitaphe sur un monument aux morts de la guerre (28/07/2014)
Allo (28/07/2015)
Le congrès eucharistique de Chicago (08/09/2016)
Des cris étouffés (21/09/2017)
Se laver les mains (29/01/2019)