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Le bar à poèmes
11 août 2016

Pierre Minet (1909 – 1975) : Lettre

Lettre

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     Un petit pastel de mon âme, s’il vous plaît ?

     Pourquoi cherchez-vous encore où se trouvent les béatitudes ?

Le temps est au soleil, peut-être y arriverez-vous plus facilement.

     Je suis devenu un petit taureau pensif – je recule devant mille

obstacles avec des bonds craintifs. Un petit taureau poétique, ah !ah !

     J’aperçois de grands disques blancs que l’on précipite soudain

dans un gouffre, - je crie et je glisse la nuit à travers les hautes herbes

- je ne trouverai jamais, mais qu’importe ?

     Je vous replonge dans ma tête avec un bruit de guitares. Vous

connaissez ces plaintes criardes qui semblent venir du désert ? – et

j’aperçois les chameaux rangés comme des soldats devant le petit nègre,

chacun un morceau de sucre dans la bouche.

     J’ai peur. Les clowns, les clowns.

     J’ai peur. Je me cache, coagulation de mes forces. Des bras battent

désespérément l’air qui se casse avec un bruit de verre. Rêverie.

Abrutissement aquatique. Que sais-je ? Je suis soudain, entouré de

chiffres et je jongle. Enorme. Les poissons, les rats, les animaux du ciel,

tous, tous, je vous dis, et cela est une vérité ? Vérité… Vérité…ité…

film, suite, suite et encore. Hier, je me souviens d’avoir joué avec la nuit

- j’étais, très haut, sur un lac – je ne comprends plus – Et vous ?

     Les oiseaux plongent, et chacun emporte dans son vol la tête d’une

cuisinière. Lamentation. J’ai vu cela. Je sais que votre cœur est une plage

de marbre. Vous souffrez. Je sens les trains, voyous qui déambulent,

courir sur vitre surface. A moi ! Nonchalance des images. Ressemblent-

elles au format de ma vérité ? Je ne sais rien – à peine au front une tache

noire.

     Angoisse des lignes. Je suis enfermé dans a chambre. Je sais que je suis

un cube qui flotte dans l’air. Vertige. « L’éternité », comme on dirait un

chapeau de gendarme – Epouvantail

     Je rallume mon cœur – éteint – rien à faire, il ne vivra plus très longtemps.

Habitude du néant – trop, peut-être – Irrésistible comique, digne d’un chevaux-

de-bois  - Et voilà l’Idéal !

                       Vive l’Idéal !

     - En avant – l’élite sublime s’ébranle. Je suis – Marche militaire – pourquoi pas ?

On arrive à une hauteur dominant un très profond précipice.

     Allez, l’élite ! -  Tous tombés.

     Je reste seul, avec – naturellement – l’espoir qui est toujours derrière moi en

attente. Espoir. Coup de canon. – semblable épopée qui s’avance mécaniquement

 - Espoir en nous ? Vous en riez. Alors, la cloche ! Nous nous réveillerons bien un

jour, nom de Dieu !

                                                  Le bateau coule

                                                  Dans une tempête de fleurs –

 

                                                  Seul – assis sur la paresse –

                                                 J’effeuille ma marguerite

 

Revue « Le grand jeu, N° 1, été 1928

Chez Roger Vailland, Paris, 1928

Du même auteur :

 « Mort, je m'égrènerai en toi… » (16/08/2014)

Poèmes (16/08/2015)

Abandonnés (06/07/2019)

 

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