Pierre Minet (1909 – 1975) : Lettre
Lettre
Un petit pastel de mon âme, s’il vous plaît ?
Pourquoi cherchez-vous encore où se trouvent les béatitudes ?
Le temps est au soleil, peut-être y arriverez-vous plus facilement.
Je suis devenu un petit taureau pensif – je recule devant mille
obstacles avec des bonds craintifs. Un petit taureau poétique, ah !ah !
J’aperçois de grands disques blancs que l’on précipite soudain
dans un gouffre, - je crie et je glisse la nuit à travers les hautes herbes
- je ne trouverai jamais, mais qu’importe ?
Je vous replonge dans ma tête avec un bruit de guitares. Vous
connaissez ces plaintes criardes qui semblent venir du désert ? – et
j’aperçois les chameaux rangés comme des soldats devant le petit nègre,
chacun un morceau de sucre dans la bouche.
J’ai peur. Les clowns, les clowns.
J’ai peur. Je me cache, coagulation de mes forces. Des bras battent
désespérément l’air qui se casse avec un bruit de verre. Rêverie.
Abrutissement aquatique. Que sais-je ? Je suis soudain, entouré de
chiffres et je jongle. Enorme. Les poissons, les rats, les animaux du ciel,
tous, tous, je vous dis, et cela est une vérité ? Vérité… Vérité…ité…
film, suite, suite et encore. Hier, je me souviens d’avoir joué avec la nuit
- j’étais, très haut, sur un lac – je ne comprends plus – Et vous ?
Les oiseaux plongent, et chacun emporte dans son vol la tête d’une
cuisinière. Lamentation. J’ai vu cela. Je sais que votre cœur est une plage
de marbre. Vous souffrez. Je sens les trains, voyous qui déambulent,
courir sur vitre surface. A moi ! Nonchalance des images. Ressemblent-
elles au format de ma vérité ? Je ne sais rien – à peine au front une tache
noire.
Angoisse des lignes. Je suis enfermé dans a chambre. Je sais que je suis
un cube qui flotte dans l’air. Vertige. « L’éternité », comme on dirait un
chapeau de gendarme – Epouvantail
Je rallume mon cœur – éteint – rien à faire, il ne vivra plus très longtemps.
Habitude du néant – trop, peut-être – Irrésistible comique, digne d’un chevaux-
de-bois - Et voilà l’Idéal !
Vive l’Idéal !
- En avant – l’élite sublime s’ébranle. Je suis – Marche militaire – pourquoi pas ?
On arrive à une hauteur dominant un très profond précipice.
Allez, l’élite ! - Tous tombés.
Je reste seul, avec – naturellement – l’espoir qui est toujours derrière moi en
attente. Espoir. Coup de canon. – semblable épopée qui s’avance mécaniquement
- Espoir en nous ? Vous en riez. Alors, la cloche ! Nous nous réveillerons bien un
jour, nom de Dieu !
Le bateau coule
Dans une tempête de fleurs –
Seul – assis sur la paresse –
J’effeuille ma marguerite
Revue « Le grand jeu, N° 1, été 1928
Chez Roger Vailland, Paris, 1928
Du même auteur :
« Mort, je m'égrènerai en toi… » (16/08/2014)
Poèmes (16/08/2015)
Abandonnés (06/07/2019)