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Le bar à poèmes
26 août 2015

Henri Pichette (1924 – 2000) : Le Duo d’Amour Fou

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Le Duo d'Amour  Fou

 

a  (l’Amoureuse ) Quand il fait jour je pense à la nuit

(le Poète)  et la nuit je fêle ta voix, je m’initie à ton parfum,

      tes seins fermissent, tu tires mes yeux

a  et tu me frises et me tutoies avec des gants.

Je tords la joie de vivre. Je te visite entière. Je t’irise. A mon

     aise je t’incendie.

a  Comme en hiver, de ta main droite tu fouettes l’attelage tandis

     que nous sommes à l’abri du froid, les draps tirés jusqu’au menton

p  et je m’éclaire les doigts de la main gauche.

a  Bientôt je résiste à la ruée du sang.

Tu es fragile

toi, tendrement brutal

p  tu te plains

a  tu me parcours

p  C’est alors que j’oublie le revers des villes, le souci de vivre au milieu

     des flèches. Je retrouve intacte mon enfance. Je jouerais des siècles

     avec tes boucles. Je t’emmènerai au Pays des Manières limpides. Je

     t’accrocherais un cristal de neige éternelle au corsage. Tu choisirais tes  

     lacs, tes rives, tes chaînes de montagnes. Tu commanderais ton ciel, ta

     saison, les robes des lendemains. Pour toi, sur les chemins de ronde,

     nous sortirions minuit de nos poches et nous ferions du feu.

a  il fait bon

ou je laverai la Grande Ourse

a  en sifflant

p Puis tu serais une vague égarée de l’Océan

a  je me perpétuerai en toi, tel un goéland, tu me couperais de ton aile…

    Comme je t’appartiens ! Tu as le sens des mouvements qui me grisent,

    et la diction d’un fanal. Mes flots se teintent. Tu renverses l’azur en

    moi. Tu jalonnes mon ventre d’ifs tout allumés. C’est la fête. Je deviens

    poreuse. Tu m’échevelles. Je t’accompagne. Nous descendons au ralenti

    un escalier de pourpre, je me voile dans l’écume, le vent se lève, tu

    t’effaces devant les portes, où suis-je ? Mais tu ne réponds pas, tu

    m’inspires des flambeaux de passage, tu déplies soigneusement la volupté,

    tu détournes ma soif, tu me prolonges, tu me chrysalides et je suis de

    nouveau élue. Alors je danse ,je danse, je danse ! comme une flamme

    debout sur la mer ! les paupières fermées. Ta patience fait mon bonheur.

    Je suis nue, j’en ai conscience et je te remercie parce que la fin de la folie

    est imprévisible. Tu échafaudes des merveilles. Tu me crucifies à toi. Le

    plaisir est doucement douloureux. Je suis bien.

 

        Laisse-moi te dire : j’ai besoin de me sentirvoyagée comme une femme.

     Depuis  des jours et des nuits, tu me révèles. Depuis des nuits et des jours

      je  me préparais à la noce parfaite. Je suis libre avec ton corps. Je t’aime

     au fil de mes ongles, je te dessine. Le cœur te lave. Je t’endimanche. Je te

     filtre  dans mes lèvres. Tu te ramasses entre mes membres. Je m’évase. Je

     te  déchaîne

p Je t’imprime

a  je te savoure

p je te rame

a  je te précède

p je te vertige

a  et tu me recommences

p je t’innerve te musique

a te gamme te greffe

p te mouve

a te luge

p te hanche te harpe te herse te larme

a te mire t’infuse te cytise te valve

p te balise te losange te pylône te spirale te corymbe

a l’hirondelle te reptile t’anémone te pouliche te cigale te nageoire

p te calcaire te pulpe te golfe te disque

a te langue le lune te givre

p te chaise te table te lucarne te môle

a te meule

p te havre te cèdre

a te rose te rouge te jaune te mauve te laine te lyre te guêpe

p te troène

a te corolle

p te résine

a te margelle

p te savane

a te panthère

p te goyave

a te salive

p te scaphandre

a te navire te nomade

p t’arque-en-ciel

a te neige

p te marécage

a te luzule

p te nacelle

a te luciole te chèvrefeuille

p te diphtongue

a te syllabe

p te sisymbre te gingembre t’amande te chatte

a t’émeraude

p t’ardoise

a te fruite

p te liège

a te loutre

p te phalène

a te pervenche

p te septembre octobre novembre décembre et le temps qu’il faudra

 

 

Les Epiphanies, Editions Gallimard, 1969

 

Les Épiphanies ,« mystère profane », a été créé en 1947 par Gérard Philipe,

Maria Casarès, Roger Blin, au Théâtre des Noctambules, à Paris, dans une

mise en scène de Georges Vitaly. Les décors étaient de Matta et la musique

de Maurice Roche.

 

Du même auteur :

Ode à la neige (26/08/2014)

« Je fais corps… » (26/08/2016)

« Nous sommes à la perle… » (26/08/2017)

Apoème 3 (26/08/2018)

 

 

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