Denise Le Dantec (1939 -) : Les fileuses d’étoupes (II)
Les fileuses d’étoupe (II)
Au lever du soleil le pommier ne porte qu’une
seule fleur
Puis deux, puis trois, puis cent, puis mille
Qui gonflent avec l’écume de la mer
Engourdi du nectar de l’abeille endormie
Ton corps
Repose sur le sol de poussière, dans les trous
des broussailles
Et le mouvement des feuilles
Et me voici fleur unique sur l’unique pommier
de la mer
La voile qui soutient le bateau est le soleil
Et le soleil est ton gland
L’Ange dort sous l’arbre du monde
Sa verge petite comme un orvet
Et les étoiles d’été très hautes
* * * * *
Lorsque nous entrerons dans l’auberge, couverts
de papillons,
Que diront les logeurs à me voir venir
Poivrote et appuyée aux branches
Sous les ombres magiques des noisetiers
Nue dans les loques des feuilles de l’été
Mes cheveux tombant parmi les bris de l’herbe
Et ma voix rauque
Hors le silence d’une extase imparable
Dirai-je, ouvrant mes yeux de glace,
Qu’il n’ y a pas d’issue au sacre que je porte
Dans nos geôles de lumière
Il y a le vent sombre et tout ce qui nous excède
Ces ballots de bruyère
Dont ils nous envient la magnificence
Et qui nous arrêtent au passage
N’entends- tu pas mon cri de bataille
Quand venu le temps de l’aube
Je pénètre le royaume des Glaces et des Sangliers
éclatants ?
Ange Noir
aux yeux toujours ouverts
Je t’appelle par ton nom
Sur la mer et sur les glaces :
enfant de brume, chien, ivrogne
Et les nuages sales, impassibles et muets,
Pataugent et s’engraissent
Au fumier de la nuit
Sur les icebergs de Vesteralen
Les poissons perdent le sang de leurs ouïes
Et sur les trente et une îles du voyage de Mael Duin
Les traces de bêtes mystérieuses marquent comme
le bleu de Chartres
La barre de mercure horrifie mes cheveux
Dans ce grand morceau d’absence, ce drap de gel
et de bure,
Cette lande brûlante où les arbrisseaux ne mènent
plus Combat
Les promesses ont passé
Sur le lit de la terre déchiré des labours de l’amour
Au sein des sillons pourrissants, on voit les cheveux
de nos morts
Que guettent les oiseaux de Gwendollen nus sur
les feuilles durcies des buis
L’oiseau a traversé le froid,
L’hiver, la nuit, les batailles des nuages ;
Son bec portait quelque chose
Que le voyage avait flétri parmi les glaces
J’appelle à moi l’oiseau
Afin qu’il nous rapporte
La chose étrange qui nous avait été annoncée
Et plus tard,
Il portait des miettes de notre destin
O l’adieu sous l’attelage funèbre du ciel
Le dos tordu des nuages
Au Champ Sainte-Anne
Les saxos soufflent avec leurs becs de bois
Et nos corps affranchis tombent
Dans un inconnu de pommiers délabrés de leurs mousses
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Les fileuses d’étoupe
Editions Folle Avoine, 35850 Romillé, 1985
De la même autrice :
« Nous ne sommes plus rien… » (07/10/2014)
Les fileuses d'étoupe (I) (18/09/2017)
Mésange (06/09/2018)
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