Charles Dobzynski (1929- 2014) : Dialogue à Jérusalem
Il est mien, ce pays Il est mien, ce pays
Par la lèvre et la veine Dépouillé de ma peau.
J’y revis mes racines Rendez-moi mes racines,
Le nœud rouge des ères. Je me change en désert.
Sur chaque pierre brûle Mutilé de mon nom,
Ma mémoire et mon nom. Mémoire lapidée.
Cette terre est le livre Dans ce ciel tous mes mots
Où ma parole est d’herbe. Sont devenus des ailes.
Mon Dieu naquit du blé Mon Dieu sortit du sable,
Son feu mon seul miroir Devint une fontaine,
me reconnaît. Miroir brisé.
Vert ce pays me vêt Je portais un habit de terre,
Lierre de mon origine. Nu, j’ai le cœur à vif.
Deux mille ans pour un rêve, Mes enfants, chaque jour
Deux mille ans dans la cendre Mangent un pain de cendre.
Chaque arbre est une blessure Ma vie, arbre amputé
Et chaque feuille un mort. Des deux bras de son ombre.
Terre à jamais pétrie. Chaque larme est une mer
De la fumée des songes Pour le corail des yeux
calcinés. de mes ancêtres.
J’ai trouvé mon visage Je n’ai plus qu’un visage
Sur ces tables gravé : Privé d’état civil.
Je suis une écriture Mon empreinte effacée
Que le sang rend visible. Habite les étoiles.
Ma main touchant les roches Ma langue céréale,
Y réveille les psaumes. Harpe des ceps et des couleurs.
Mon corps talismanique Je suis la grappe noire
Se convertit en vigne. D’un soleil extirpé.
Les ténèbres s’émondent, Interdit de lumière
Mon soc est de soleil. Comme on l’est de séjour.
J’ai banni la souffrance, Mon domaine est la plaie
Déboisé le mépris, Et je suis le couteau
Mis l’histoire debout. Retourné dans le temps.
J’ai repris mon assise Les clés de mon histoire
Et largué le malheur. N’ouvrent plus ma maison.
Forge l’anneau, ma terre Ma terre, es-tu la chaîne
De notre identité. Que je traîne à mes pieds ?
Un seul Etat pour nous Notre mère est l’errance,
Qui venons de l’absence. Notre terre est l’exil.
Nous bâtissons des villes Sur nos murs on détruit
Des digues contre le néant. Le tracé de nos rêves.
Notre porte est ouverte Nous restons à la porte
A toux ceux que l’on chasse. Et l’on nous jette un os.
Notre force est raison S’imprime en votre chair
Par le sang, par la flamme. La loi du talion
J’éprouve ma justice Vous inventez la braise
Sur le tranchant du fer. Qui nous rendra raison.
Je suis mort trop souvent Vous qui semez le vent
Pour ne pas aimer vivre Vous aurez pour récolte
à perdre corps. épis de mort.
J’aime trop cette terre J’aime trop cette terre
Pour la mettre en partage. Pour y être étranger.
Mes rames sont garantes Pour reprendre son dû
Du viatique, du levain Ma terre sous vos pas
de l’avenir. tremble et s’insurge.
Si j’ai conquis le bleu, Si le feu vous harcèle
Si j’ai conquis le feu, C’est que statues de sel
c’est pour durer. vous deviendrez.
Je n’ai pour frontière Vous perdrez votre source
Que ma vie cette immense Poussière votre image
cicatrice. nuit votre legs.
Vous niez qui nous sommes, Nous, gerbe éparpillée,
Ce que nous voulons être, Terre brûlée, terre arrachée
Unité de sève et de sel. Vive du ventre de nos femmes
Nous, rescapés du pire, Vous fondez votre empire
Vous rêvez nous exclure Sur nos ruines, nos aubes
Par le meurtre et la peur. Spoliées et pillées.
J’ai gagné cette terre J’ai droit au littoral
Estuaire promis Où bleuit ma mémoire
à tant de soif. accrue.
Je défendrai l’oracle de mon règne Fût-ce au prix de ma vie
Fût-ce au prix de ma mort. De votre croix je déclouerai l’aurore.
Sans ma patrie je ne puis vivre, Je ne puis vivre sans patrie
Rien sans elle n’a plus de sens. Expulsé de mon propre sang.
1973
(Capital terrestre)
In, Revue « Action poétique, N° 57 », 1974
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