Paul Valéry (1871 – 1945) : De la mer océane
De la mer océane
Mer. Océan. Cap Breton.
La grande forme qui vient d’Amérique avec son beau creux et sa sereine
rondeur trouve enfin le socle, l’escarpe, la barre. La molécule brise sa chaîne
- Les cavaliers blancs sautent par delà eux-mêmes.
L’écume ici forme des bancs très durables, qui figurent un petit mur de
bulles irisé, sale, crevard, le long du plus haut flot. Le vent chasse des chats,
et des moutons nés de cette manière, et les souffle et les fait courir le plus
drôlement du monde vers les dunes comme effrayés par la mer. Cette écume
est autre chose que de l’eau battue – Emulsion.
Quant à l’écume naissante et vierge, elle est d’une douceur étrange aux
pieds. C’est un lait tout gazeux [aéré], tiède, qui vient à vous avec une violence
voluptueuse – inonde les pieds, chevilles, les fait boire, les lave et redescend
sur eux – avec une voix qui abandonne le rivage et se retire, tandis que le [ma]
statue s’enfonce un peu dans le sable et que l’âme qui écoute cette immense
fine musique infiniment petite, s’apaise et la suit.(1912)
Les Cahiers
Editions Gallimard (La Pléiade), 1973 – 1974
Du même auteur :
La fileuse (29/05/2014)
Le cimetière marin (27/05/2015)
Le Sylphe (16/06/2017)
Narcisse parle (16/08/2019)
Cantique des colonnes (13/11/2021)