Marc – Antoine Girard de Saint – Amant (1594 – 1651) : La solitude
La Solitude
A Alcidon
O ! que j'aime la solitude !
Que ces lieux sacrés à la nuit,
Eloignés du monde et du bruit,
Plaisent à mon inquiétude !
Mon Dieu! Que mes yeux sont contents
De voir ces bois, qui se trouvèrent
A la nativité du temps,
Et que tous les Siècles révèrent,
Etre encore aussi beaux et verts,
Qu'aux premiers jours de l'Univers !
Un gai zéphyr les caresse
D'un mouvement doux et flatteur.
Rien que leur extrême hauteur
Ne fait remarquer leur vieillesse.
Jadis Pan et ses demi-dieux
Y vinrent chercher du refuge,
Quand Jupiter ouvrit les cieux
Pour nous envoyer le déluge,
Et, se sauvant sur leurs rameaux,
A peine virent-ils les eaux.
Que sur cette épine fleurie,
Dont le printemps est amoureux,
Philomèle, au chant langoureux
Entretient bien ma rêverie !
Que je prends de plaisir à voir
Ces monts pendant en précipices,
Qui, pour les coups du désespoir,
Sont aux malheureux si propices,
Quand la cruauté de leur sort
Les force à rechercher la mort !
Que je trouve doux le ravage
De ces fiers torrents vagabonds,
Qui se précipitent par bonds
Dans ce vallon frais et sauvage !
Puis, glissant sous les arbrisseaux,
Ainsi que des serpents sur l'herbe,
Se changent en plaisants ruisseaux,
Où quelque Naïade superbe
Règne, comme en son lit natal,
Dessus un trône de cristal !
Que j'aime ce marais paisible !
Il est tout bordé d'aliziers,
D'aulnes, de saules et d'osiers,
A qui le fer n'est point nuisible.
Les nymphes ,y cherchant le frais,
S'y viennent fournir de quenouilles,
De pipeaux, de joncs et de glais ;
Où l'on voit sauter les grenouilles,
Qui de frayeur s'y vont cacher
Sitôt qu'on veut s'en approcher.
Là, cent mille oiseaux aquatiques
Vivent, sans craindre en leur repos,
Le giboyeur fin et dispos,
Avec ses mortelles pratiques.
L'un, tout joyeux d'un si beau jour,
S'amuse à becqueter sa plume ;
L'autre alentit le feu d'amour
Qui dans l'eau même se consume,
Et prennent tous innocemment
Leur plaisir en cet élément.
Jamais l'été ni la froidure
N'ont vu passer dessus cette eau
Nulle charrette ni bateau,
Depuis que l'un et l'autre dure ;
Jamais voyageur altéré
N'y fit servir sa main de tasse ;
Jamais chevreuil désespéré
N'y finit sa vie à la chasse ;
Et jamais le traître hameçon
N'en fit sortir aucun poisson.
Que j'aime à voir la décadence
De ces vieux châteaux ruinés,
Contre qui les ans mutinés
Ont déployé leur insolence !
Les sorciers y font leur sabbat ;
Les démons follets s'y retirent,
Qui d'un malicieux ébat
Trompent nos sens et nous martyrent ;
Là se nichent en mille trous
Les couleuvres et les hiboux.
L'orfraie, avec ses cris funèbres,
Mortels augures des destins,
Fait rire et danser les lutins
Dans ces lieux remplis de ténèbres.
Sous un chevron de bois maudit
Y branle le squelette horrible
D'un pauvre amant qui se pendit
Pour une bergère insensible,
Qui d'un seul regard de pitié
Ne daigna voir son amitié.
Aussi le Ciel, juge équitable,
Qui maintient les lois en vigueur,
Prononça contre sa rigueur
Une sentence épouvantable :
Autour de ces vieux ossements
Son ombre, aux peines condamnée,
Lamente en longs gémissements
Sa malheureuse destinée,
Ayant pour croître son effroi
Toujours son crime devant soi.
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