Giacomo Leopardi (1798 – 1837) : Le soir du jour de fête / La sera del dì di festa
Le soir du jour de fête
Tendre et claire est la nuit, sans un souffle,
Et calme sur les toits, au milieu des vergers,
La lune s’est posée, qui révèle au lointain
Les montagnes sereines. Ô mon amour,
Déjà se taisent les chemins, et rare
Transparaît aux volets la lampe nocturne :
Tu dors, toi que reçut le facile sommeil,
Dans tes chambres calmes, et ne t’étreint
Nul souci ; tu ne sais, tu ne penses
Quelle plaie en mon cœur tu m’ouvris.
Tu dors : moi, le ciel qui me semble
Si doux, je m’avance et le salue,
Comme l’antique Nature toute-puissante
Qui me fit à la souffrance. « A toi, l’espoir,
Je le nie, me dit-elle, jusqu’à l’espoir ; et que de rien
Tes yeux ne brillent, sinon de pleurs. »
Aujourd’hui ce fut fête : à présent, des plaisirs
Tu te reposes ; et peut-être en ton rêve
Te souvient-il de ceux qui t’admirèrent
Et de ceux qui te plurent. Moi non (non, sans espoir),
Je ne retourne pas à ta pensée. Mais je demande
Ce qu’à vivre il me reste, et sur la terre là,
Je me jette, et je crie, je frémis. Ô jours d’horreur
Dans un âge si vert ! las ! par la route
J’entends non loin le solitaire chant
De l’artisan qui rentre à la tardive nuit
Vers son humble maison, après les jeux,
Et le cœur durement se serre en moi
De penser comme tout passe au monde
Sans presque laisser d’empreintes. Il a fui,
Le jour de fête, et à ce jour succède
Un autre jour, et le temps emporte avec lui
Toute aventure humaine. Où donc a fui
Le son de ces peuples antiques ? où est le cri
De nos illustres pères, le grand empire
De Rome, et les armes, et le fracas
Qui vola sur la terre et l’océan ?
Tout est paix et silence ; repose tout entier
Le monde, et nul ne parle plus d’eux.
Dans mon enfance, quand la fête qu’on espère
Avec tant de désir s’était évanouie,
Moi, plein de douleurs, les yeux ouverts,
J’oppressais ma couche, et dans la nuit tardive,
Un chant qu’on entendait par les chemins
Mourir en se perdant peu à peu
Déjà semblablement serrait mon cœur.
Traduit de l’italien par Michel Orcel
In, " Anthologie bilingue de la popésie italienne"
Editions Gallimard (la Pléiade), 1994
Le soir du jour de fête
Douce et claire la nuit et sans le moindre souffle,
Et par-dessus les toits et les jardins la lune
Plane, nous dévoilant chaque cime de loin
Dans sa sérénité. Le silence est déjà
Dans chaque rue, tandis qu’à travers les persiennes
Une veilleuse luit faiblement çà et là.
Mais toi, ma bien-aimée, tu dors, puisqu’un sommeil
Facile te reçut dans tes chambres tranquilles.
Par nul souci mordue, tu ne sais ni ne songes
Qu’une plaie en mon cœur fut ouverte par toi.
Tu dors. Mais moi, ce ciel si doux en apparence
Et la toute-puissante et éternelle Nature
Qui pour me tourmenter me créa, je salue.
« Pas d’espérance non ; je te refuse même
L’espérance, dit-elle ; rien que de pleurs
Devront briller tes yeux. Après ce jour de fête
Et tes joyeux ébats, c’est pour toi le repos.
Et peut-être qu’en rêve il te souvient encore
De ceux que tu charmas, de ceux qui te charmèrent ;
Je ne suis pas du nombre et n’espère pas même
Hanter ton souvenir. Cependant, je demande
Ce qui me reste à vivre. Et à même le sol
Etendu de mon long, je crie et je frémis.
De mes vertes années oh, les horribles jours !
Proche dans la rue, ah ! j’entends de l’artisan
La chanson esseulée : à la nuit close, il rentre
A son pauvre logis, ayant pris du bon temps.
Mon cœur farouchement se serre à la pensée
Que tout ici-bas passe et sans laisser de trace
- Ou presque. Voilà le jour de fête enfui,
Et à leur tour voici les autres jours ouvrables
Et chaque évènement dans la fuite du temps
Se perd. Et à présent, qu’en est-il de ce bruit
Des peuples d’autrefois ? Qu’en est-il du renom
De nos fameux aïeux, de l’Empire de Rome,
Des guerres, du fracas qui par tout l’univers,
Sur tous les océans au loin se propagea ?
Tout est paix et silence, et le monde repose.
Mais de ces peuples-là plus personne ne parle.
Enfant insomnieux, angoissé, dans mon lit
Je gisais, une fois passé le jour de fête
Que j’avais attendu pourtant avec ardeur.
Et un chant, dans la nuit tard, qui de rue en rue
S’éloignait et mourait au fur et à mesure,
Serrait alors déjà pareillement mon coeur.
Traduit de l’italien par Sicca Vernier
in, « Poètes d’Italie. Anthologie, des origines à nos jours
Du même auteur :
A Sylvia / A Silvia (30/12/2014)
Le coucher de la lune / Il tramonto della luna (20/12/2015)
L’Infini / L’Infinito (20/12/2017)
A soi-même /A se stesso (20/12/2018)
Les souvenirs / Le ricordanze (20/12/2019)
A la lune / Alla luna (20/12/2020)
Le dernier chant de Sappho / Ultimo canto di Saffo (20/12/2021)
Le passereau solitaire / Il passero solitario (20/12/2022)
Le calme après l’orage / La quiete dopo la tempesta (20/12/2023)
La sera del dì di festa
Dolce e chiara è la notte e senza vento,
E queta sovra i tetti e in mezzo agli orti
Posa la luna, e di lontan rivela
Serena ogni montagna. O donna mia,
Già tace ogni sentiero, e pei balconi
Rara traluce la notturna lampa.
Tu dormi, ché t’accolse agevol sonno
Nelle tue chete stanze, e non ti morde
Cura nessuna; e già non sai nè pensi
Quanta piaga m’apristi in mezzo al petto.
Tu dormi: io questo ciel, che si benigno
Appare in vista, a salutar m’affaccio,
E l’antica natura onnipossente,
Che mi fece all’affanno. « A te la speme
Nego, mi disse, anche la speme; e d’altro
Non brillin gli occhi tuoi se non di pianto. »
Questo dí fu solenne: or da’ trastulli
Prendi riposo; e forse ti rimembra
In sogno a quanti oggi piacesti, e quanti
Piacquero a te: non io, non già ch’io speri,
Al pensier ti ricorro. Intanto io chieggo
Quanto a viver mi resti, e qui per terra
Mi getto, e grido, e fremo. O giorni orrendi
In cosí verde etate! Ahi! per la via
Odo non lunge il solitario canto
Dell’artigian, che riede a tarda notte,
Dopo i sollazzi, al suo povero ostello;
E fieramente mi si stringe il core,
A pensar come tutto al mondo passa,
E quasi orma non lascia. Ecco è fuggito
Il dí festivo, ed al festivo il giorno
Volgar succede, e se ne porta il tempo
Ogni umano accidente. Or dov’è il suono
Di que’ popoli antichi? or dov’è il grido
De’ nostri avi famosi, e il grande impero
Di quella Roma, e l’armi, e il fragorío
Che n’andò per la terra e l’oceáno?
Tutto è pace e silenzio, e tutto posa
Il mondo, e più di lor non si ragiona.
Nella mia prima età, quando s’aspetta
Bramosamente il dí festivo, or poscia
Ch’egli era spento, io doloroso, in veglia,
Premea le piume; ed alla tarda notte
Un canto, che s’udía per li sentieri
Lontanando morire a poco a poco,
Giá similmente mi stringeva il core.
1820
Canti
Felice Le Monnier editore, Firenze, 1845
Poème précédent en italien :
Umberto Saba : Ulysse / Ulisse (27/11/2016)
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Michel-Ange / Michelangelo Buanarroti (1475 -1564) : « Avec ce coeur de soufre… » / « Al cor di zolfo… » (14/01/2017)