Henri Michaux (1899 -1984) : Contre !
Contre !
Je vous construirai une ville avec des loques, moi !
Je vous construirai sans plan et sans ciment
Un édifice que vous ne détruirez pas,
Et qu'une espèce d'évidence écumante
Soutiendra et gonflera, qui viendra vous braire au nez,
Et au nez gelé de tous vos Parthénons, vos arts arabes et de vos Mings.
Avec de la fumée, avec de la dilution de brouillard
Et du son de peaux de tambour,
Je vous assoirai des forteresses écrasantes et superbes,
Des forteresses faites exclusivement de remous et de secousses,
Contre lesquels votre ordre multimillénaire et votre géométrie
Tomberont en fadaises et galimatias et poussières de sable sans raison.
Glas ! Glas ! Glas ! Sur vous tous! Néant sur les vivants!
Oui! Je crois en Dieu ! Certes, il n'en sait rien !
Foi, semelle inusable pour qui n'avance pas.
Ô monde, monde étranglé, ventre froid !
Même pas symbole, mais néant, je contre, je contre,
Je contre, et te gave de chiens crevés.
En tonnes, vous m'entendez, en tonnes je vous arracherai ce que vous
m'avez refusé en grammes.
Le venin du serpent est son fidèle compagnon,
Fidèle et il l'estime à sa juste valeur,
Frères, mes frères damnés, suivez-moi avec confiance ;
Les dents du loup ne lâchent pas le loup.
C'est la chair du mouton qui lâche.
Dans le noir, nous verrons clair mes frères.
Dans le labyrinthe, nous trouverons la voie droite.
Carcasse, où est ta place ici, gêneuse, pisseuse! pot cassé ?
Poulie gémissante, comme tu vas sentir les cordages tendus des quatre
mondes !
Comme je vais t'écarteler !
La nuit remue
Editions Gallimard, 1935
Du même auteur :
« Mais Toi, quand viendras – tu ? » (22/05/2014)
Arriver à se réveiller (22/05/2015)
Emportez-moi (22/05/2017)
L’époque des illuminés (22/05/2018)
Le grand combat (04/05/2019)
La marche dans le tunnel (1- 9) (04/05/2020)
La marche dans le tunnel (10 – 23) (03/05/2021)
Dans la nuit (04/05/2022)
Clown (04/05/2023)
Les travaux de Sisyphe (04/05/2024)