Voltaire (1694 -1778) : Adieu à la vie
Adieu à la vie
Adieu ; je vais dans ce pays
D’où ne revint point feu mon père :
Pour jamais adieu, mes amis,
Qui ne me regretterez guère.
Vous en rirez, mes ennemis ;
C’est le requiem ordinaire.
Vous en tâterez quelque jour ;
Et lorsqu’aux ténébreux rivages
Vous irez trouvez vos ouvrages,
Vous ferez rire à votre tour.
Quand sur la scène de ce monde
Chaque homme a joué son rôlet,
En partant il est à la ronde
Reconduit à coup de sifflet.
Dans leur dernière maladie
J’ai vu des gens de tous états
Vieux évêques, vieux magistrats,
Vieux courtisans à l’agonie :
Vainement, en cérémonie
Avec sa clochette arrivait
L’attirail de la sacristie ;
Le curé vainement oignait
Notre vieille âme à sa sortie ;
Le public malin s’en moquait ;
La satire un moment parlait
Des ridicules de sa vie ;
Puis à jamais on l’oubliait ;
Ainsi la farce est finie.
Le purgatoire ou le néant
Terminait cette comédie.
Petits papillons d’un moment,
Invisibles marionnettes,
Qui volez si rapidement
De Polichinelle au néant,
Dites-moi donc ce que vous êtes !
Au terme où je suis parvenu,
Quel mortel est le moins à plaindre ?
C’est celui qui ne sait rien craindre,
Qui vit et meurt inconnu.
Œuvres de Voltaire, T.47 : Mélanges, par M. Beuchot
Chez Lefèvre, Libraire, Firmin Didot Frères, Lequien fils
Paris, 1778
Du même auteur :
« L’autre jour au fond d’un vallon… » (18/11/2016)
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