Vicente Huidobro (1893 - 1948) : La matelotte
La matelotte
Matelot conduisant les vagues au port d’été
A chaque pas de chaleur la lune nous gifle
Et la mer se défait
Agitée par le vent des pêcheurs qui sifflent
L’océan est vert de tant d’espoir noyé
Les bateaux traînent les vagues jusqu’à toucher le ciel
Ils vont charger l’aurore éventuelle
Tels que les escarpins ils aiment l’horizon
L’horizon en arc raide pour la chanson et pour la flèche
Chemin de la colombe en dépêche
Mon œil mieux qu’un navire divague
Bien que je sois le marin précis
Que voulez-vous
La mer change de vagues
Le caméléon de couleur
Et la montre d’heure
Mais l’océan transitoire en échelle sans tapis
Au fond change aussi peu que le charbon des mines
Et je l’aime comme une bouteille ou un bouquet poli
A l’ombre de son fare qui mouds les vagues en sourdine
L’océan l’océan le fare et la farine
Pleure mon beau marin sur la marine
L’océan l’océan
Voilà mon seul drapeau
Chiffonné de bateaux
Déchiré dans les plages
Mon drapeau naturel est troué de naufrages
Revue « Manomètre, N°5, Février 1924 »
Lyon, 1924
Du même auteur :
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