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Le bar à poèmes
28 avril 2024

Alain Mabanckou (1966 -) : La légende de l’errance.2

Alain Mabanckou au Collège de France, 17 mars 2016  (JACQUES DEMARTHON / AFP)

 

 

La légende de l’errance

 

2. LA NOUVELLE

 

C’est ici que s’achève la course du soleil

Avec lui, les jours se retirent

dans le cimetière des éléphants

 

Les chiens du village ont aboyé

La nouvelle a franchi les dunes

et a blessé l’innocence de l’herbe...

 

 

J’apprends aujourd’hui

que maman est morte dans les montagnes

que demain c’est l’enterrement

 

 

J’ai peur du vide

j’ai peur de la nuit

de l’ombre qui se déploie

de ma silhouette qui se courbe

J’ai peur

du silence

j’ai peur

 

 

J’entends la voix d’une enfant

qui pleure dans le voile de la nuit

ses sanglots fermentent le chagrin

que je porte au bout de l’errance

 

 

Longue sera la traversée

pour gagner les sentes de nos forêts

le songe se portera en bandoulière

comme viatique

 

 

Je me retourne maintenant vers l’ombre

Des draps blancs déchirent les ténèbres

 

Sa voix s’est exilée

dans une prairie de la mort

La solitude a gravé un visage de pierre

sur le miroir brisé des jours

 

Je me dirige vers la concession

Je tiens Claude par la main droite

et Boris par la main gauche

Nous allons revoir l’enclos

en passant par la pente fangeuse des cochons...

 

 

Les figuiers et les orangers ont donné

des fruits qui éclatent de mille couleurs

en plein jour

 

Des oiseaux et des reptiles se gavent

Des chats squelettiques rôdent autour

de la masure 

 

La porte ne se referme plus

Sans doute viens-tu la nuit

recompter le bétail...

 

 

Tu nous fais signe de l’autre côté

de ne pas nous approcher jusqu’à l’affluent

où se reposent les soleils

épuisés par la transhumance...

 

 

Nous entrons dans le manoir

 

Tout au fond, dans la pénombre,

un grabat en lianes

un gobelet en plastique

une cuillère en bois

une assiette

des feuilles de tabac...

 

 

Il faut descendre la colline

pour lire l’épitaphe

qui date le jour de la pérégrination

 

Vendredi 17 mars...

 

 

On dit que la mort est venue

de ce buisson d’acacias

 

Elle s’est reposée devant ce kapokier

Le sursis d’un jour te fut accordé

 

 

On dit que la nouvelle

se murmurait sur toutes les lèvres

Que tu ramassais les brindilles dans la cour

pour attiser un feu

devant le froid de la mort

 

 

On dit que tu parlais seule

Tu riais

Tu te levais mais n’allais pas loin

 

On dit que tu rentrais les poules

le soir

tu allumais une bougie

Et quand la lune s’essoufflait dans l’écume

austère des nuages,

tu poussais la porte du manoir

et la calais avec un brique de terre cuite...

 

 

Le ciel pleurait à grosses larmes

vendredi 17 mars à Dolisie

 

Le ciel pleurait à grosses larmes

 

Tu as titubé sur ton grabat

Des voix provenaient de dehors

Des voix que tout le monde n’entend pas

Un tonnerre s’est abattu sur la crête de l’arbre

généalogique

Tu as plié un genou

puis l’autre...

 

 

Ainsi soit-il

oui

ainsi soit-il

 

 

Laissez-moi à présent seul

regarder l’horizon

jusqu’au prochain pont

qui lie la vie à la mort

 

 

Je refuse le cycle des saisons

le vent de la résignation

Je refuse la métamorphose des fleurs

Je refuse

 

Je veux regarder le passé

à travers les prunelles closes de ses yeux

 

 

Je veux n’être qu’une pierre usée

sur les ruines du temps

un dolmen

élevé sur le relief de ce cimetière

abandonné

 

 

Peut-être que la pluie s’exilera

au-delà des collines

et que s’élèvera enfin l’arc-en-ciel

de l’apaisement

 

 

Peut-être que le temps traversera

la lame de mes peines

et que le vent soufflera sur les feuilles mortes

 

 

Peut-être que la source de mes larmes

tarira

avec l’éclat du soleil

 

Peut-être

 

Mais il manquera au ciel

l’azur des matins évadés

par la faille de l’aurore originelle

 

 

Et puis

je repartirai

 

Je marcherai dans la forêt

J’écarterai les lianes sèches

pour déboucher sur une clairière

 

 

Je marcherai

 

Je m’arrêterai de temps à autre

devant une pierre

pour affûter ma solitude épuisée

 

 

Je marcherai le jour

Je marcherai la nuit

J’irai

 

 

J’irai planter l’arbre de ma douleur

sur les terres humides

du silence près de sa tombe

 

J’habiterai les buissons

de lantanas

 

Je tournerai le dos au soleil

au jour

pour n’entendre que le timbre de sa voix

au milieu de la nuit

 

 

Ainsi soit-il...

 

 

La légende de l’errance

Editions de L’Harmattan, 1995

Du même auteur :

A ma mère (28/03/2015)

Tant que les arbres s’enracineront dans la terre (21/04/2018)

Les arbres aussi versent des larmes. II (28/04/2019)

Les arbres aussi versent des larmes. I (28/04/2020)

Les arbres aussi versent des larmes. III (28/04/2021)

Les arbres aussi versent des larmes. IV (28/04/2022)

La légende de l’errance.1 (27/04/2023)

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