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Le bar à poèmes
27 avril 2024

Claude Vigée (1921 -2020) : Hors des matrices du sel

Photo Archives L’A.M.I.

 

Hors des matrices du sel

 

Nœud de rouages noirs,

métal solitaire qui manque,

ton désir s’incarne aujourd’hui

dans ces grands oiseaux-voiliers imprévisibles

aérolithes du silence

soudain naissant d’arcs noirs et blancs entrecroisés,

échappés victorieux à l’origine aveugle,

au plus dense de l’espace bleuissant

qui asphyxie les simples créatures.

Ils disent le commencement des anges exilés

avides d’apparaître ici et maintenant

comme une fracture dans la roche sans défaut :

ils font irruption sur la toile du monde,

voués à la conquête

d’une gloire à venir déjà rayée par le destin —

(saisis encore

dans le tournoiement brutal de la naissance,

avec l’énergie et l’excès discordants

d’un vouloir-vivre sans frein

qui se détruira lui-même, dans sa lancée impitoyable

vers l’ici. Mais ne serait-ce plutôt

un petit mot vide de sang, comme : où?

Le cri de naître est partout, et le lieu du sens

nulle part.)                                                                            

                                                                              Pourtant, quelque chose surgit :

Explosion d’aigles jumeaux

qui s’attaquent et se déchirent en plein vol,

lutte ou étreinte primitive, ruée des forces nues !

en jaillissant, déjà, formes elles sont devenues,

 

Deux séraphins aux ramiges flamboyantes,

que le vent d’Est chauffe à blanc : arbre double

 

criant avec le souffle hors de l’obscur céleste,

dans le lieu bleu du temps premier perdu si loin, là-bas,

 

jadis jamais ou nulle part — au lieu même  du cœur —

toujours déjà enseveli dans l’espace antérieur !

 

Matrice souterraine, ville antique et secrète,

de toi l’embryon de notre âme se dégage avec douleur ;

comme le cri d’un feu muet, la parole fœtale

s’extrait de l’épaisseur des parois d’anthracite.

 

Elle s’arrache aux fonds mentaux du labyrinthe

com m e si elle savait q u ’un jour, par impossible,

elle déferlerait

 

sur quelque volupté d’enfance défendue

en rampant patiemment par la forêt fossile

vers la bouche de puits utérine

couronnée d’une meule de poussière noire,

la nuit de Lilith diffractée dans les vertèbres angéliques

à tra v e rs l’hum ide poudre d ’ossements grise

aux exsudats gelés de matières cristallines.

 

Leurs arêtes coupantes, feu et glace mêlés

se m u en t en lentes coulées placentaires salées,

sillonnées d’artérioles blessées :

                                                  racines sectionnées

que tache à l’entour de chaque plaie

une flaque immobile de sang frais, écarlate.

Les corps de braise que soulevait cette sève dorée

bourgeonnent et fermentent en mamelons solaires :

offrandes féminines tendues

vers le massif de diamant viril,

le mont du givre inaccessible

                                                      au profil acéré d’éclair

taillé au cœur intact du domaine du père,

là où est situé

le vrai pays dont rêve la poussière du monde,

quand elle se souvient, le soir, dans le désert,

des nébuleuses vertes où grondait la tendresse

comme le chan t secret du temps dans la rivière

qui émergea première, — jadis mais pas encore — ,

du trou profond du crâne, du ventre originel.

                                                                                                 1979

 

Revue Po&sie, N°12

Belin éditeur, 1980

 

Du même auteur :

L’eau des sombres abysses (03/04/2015)

La clef de l’origine (03/04/2016)

Noyau pulsant (03/04/2017)

« Entre la terre obscure… » (03/04/2018)

Dans le défilé (27/04/2019)

Passant près d’un banc vide / Ich geh àm e läre bänkel verbéi (27/04/2020)

La fin à l’horizon / Bâll schpeetsummer (27/04/2021)

Pâque de la parole (27/04/2022)

« Parfois je crois surprendre... » / « Mànischmool glaawi... » (27/04/2023)

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