Vlada Urosevic / Влада Урошевиќ (1934 -) : Contrées...
Contrées du silence
Villes de papier noir et de fil dans des vallées sans air.
Trains bloqués dans des lacs de goudron.
Aérodromes couverts de toiles d’araignées.
Mousse qui envahit les toits des automobiles.
Maisons où des statues de pierre gisent emmaillotées.
Nuages entrés par les portes sortant par les fenêtres.
Couchers de soleil qui durent des siècles.
Contrées sans merci
Tortues d’onyx sur les plateaux d’étain.
Escargots d’émail sur des collines de porcelaine.
Poissons de nacre dans des déserts de sel.
Sauterelles de métal dans des forêts de stalagmites.
Larves de cristal dans des cocons de calcaire.
Œufs de pierre couvés par des bulldozers femelles.
Et des gens nus sans abri devant des hélicoptères mammifères.
Traduit du macédonien par Jeanne Angélowski et Jacques Gaucheron
Revue « Europe », Mars 1993
Du même auteur :
Dei otiosi (12/09/2014)
« Enferme cet été... » (25/09/2019)
Vergers sidéraux (25/09/2020)
Frissons (25/09/2021)
Planète... (25/09/2022)
Carlos Edmundo de Ory (1923 -2010) : Dithyrambe du gaditan
Dithyrambe du gaditan (*)
Tes yeux sont l’alcool de mon regard
Ta bouche est une barque dans la tempête
Tes oreilles le nid de mes baisers
Ton nez la mesure de mon allegro
Tes seins les coussins de mon angoisse
Ton ventre est la plage de mon visage
Ton sexe est mon jardin de douceur
Tes jambes les clefs de ma liberté
Tes pieds mon petit déjeuner et mon dîner
Tes mains sont deux lettres d’amour
Ton sourire est ma couronne royale
Ta crinière mon tapis volant
Ta voix est la flûte de mes rêves
Ton odeur est ma forêt ivre
Ton corps est ma doctrine de sagesse
Amiens, 19 Juin 1971
(*) Gaditan : Habitant de Cadix
Traduit de l’espagnol par Claude de Frayssinet
In, " Poésie espagnole, anthologie 1945 – 1990 "
Actes Sud / Edition Unesco,1995
Du même auteur :
Machine de douleur / Máquina de dolor (24/09/2021)
« Il semble que l’homme souffre... » / « Parece ser que el hombre sufre... » (24/09/2022)
Uwe Kolbe (1957 -) : Pour Allen Ginsberg, décédé le 5 avril 1997 / Für Allen Ginsberg, gestorben am 5. April 1997
Foto : dirk optiz
&
Pour Allen Ginsberg, décédé le 5 avril 1997
Tu n’étais pas là, quand je suis venu à New-York
pour la première fois de ma vie, en septembre 1987.
Je ne trouvai que ton usine, que ton atelier de poésie.
Les gens travaillaient sur des photocopieuses et des télécopieurs.
Quelqu’un me montra la piaule avec ton lit.
Je ne l’avais pas demandé, mais je l’avais craint.
Tu n’étais pas là, et cà m’amusait, et j’étais gêné.
« This is the shrine and where he meditates ! - I see... »
Tu avais laissé ton gros livre rouge
avec tes Collected Poems, avec un dessin
et la dédicace : « for Uwe Kolbe & Friends ».
Tu ignorais que j’étais solitaire.
Même la dédicace de tes poésie complètes
pour tes parents me resta à l’époque étrangère.
Nous ne nous connaissions pas, et j’appartenais
dans la double Allemagne à la génération presque prochaine.
La poésie beat voulait que nous devenions tous
vos disciples.
Personne ne pouvait prévoir que Burroughs
te survivrait.
Parce qu’il n’était quand même pas assez salaud,
comme tu l’avais supposé dans ton poème America pour rester à Tanger.
Ton travail consistait à prendre le monde dans tes bras par amour.
Tu as fait partie des gens au long souffle.
Tu n’as oublié aucune note sur ton orgue de prédicateur.
Au milieu des années quatre-vingt, je n’avais pas appris à temps
ta venue à Berlin-Est organisée par ce salaud de Sascha A. (1)
parce que je ne faisais pas partie des un-sur-sept.
On disait qu’en RDA un habitant sur sept avait le téléphone,
je présume qu’il y en avait moins.
Mais j’ai encore la cassette de ta prestation.
C’est chouette d’entendre comme les Berlinois de l’Est
étaient coincés quand ils parlaient leur anglais innocemment mauvais.
Ta voix maintenant disparaît lentement
dans les bruits de l’arrière-fond.
Le blues de la Fathers Death reste ma chanson préférée
de ces années-là, Bird Brain en était le résumé formidablement facile.
Ce n’est qu’en 1993 que tout marcha, et je pus t’écouter in live,
« Orplid and Co » merci. Tu revenais de Sarajevo.
Ce soir-là, tu appelais à la « guerre-éclair » culturelle
et tu voulus nous envoyer tous, nous les intellectuels allemands,
du café Clara directement là-bas. Tu te servais des mots
comme quelqu’un qui en a le droit.
Il n’en a rien été.
Tu n’as pas non plus réussi à implanter chez nous
ta joyeuse conception de la baise. On sait qu’en Amérique non plus.
C’est vrai que maintenant on en aurait besoin ;
juste avant l’Anno Domini 2000. Tu sais comment sont les choses aujourd’hui.
La liberté est assez brutale. Assez difficile à supporter
sans toi.
(1) Il s’agit du poète Sascha Anderson, accusé d’avoir travaillé pour la Stasi.
Traduit de l’allemand par François Mathieu
In, « La poésie allemande contemporaine »
Editions Seghers / Goethe-Institut Inter Nationes, Paris, 2001
Du warst nicht da, als ich nach Nerw-York kam
das erste Mal im Leben, September 1987.
Nur deine Fabrik fand ich vor, nur die poetische Werkstatt.
Die Leute arbeiteten an Kopierer und Faxgerät.
Jemand zeigte mir die Kammer mit deinem Bett.
Ich hatte nicht danach gefragt, hatte es aber befürchtet.
Du warst nicht da, und ich war amüsiert und geniert.
« This is the shrine and where he meditates ! » « I see... »
Das dicke rote Buch mit deinen Collected Poems
hattest du hinterlassen, mit einerZeichnung versehen
und der Widmung : « for Uwe Kolbe & Friends ».
Du wußtest nichts von meinem Einzelgängerturm.
Selbst die Zueignung deiner gesammelten Gedichte
für deine Eltern blieb mir damals irgendwie fremd.
Wir kannten einander nicht, und ich gehörte der beinahe
übernächsten Generation an in Zwiedeutschland.
Die Poesie der Beats war so, wir mußten alle
eure Jünger werden.
Daß Burroughs dich noch überlebte,
hat niemand voraussehen können.
Wohl weil er doch nicht so fies war, in Tanger zu bleiben,
wie du es in deinem Gedicht America vermutet hast.
Deine Arbeit war eine Liebesumarmung der Welt.
Du hast zu denen mit dem langen Atem gehört.
Du hast keinen Ton ausgelassen auf deiner Predigerorgel.
Von deinem Auftritt in Ostberlin der auf Sascha A.s Mist
gewachsen war, damals, Mitte der Achtziger, hatte ich nicht
rechtzeitig gehört, weil ich kein Siebenter war.
In der DDR hatte angeblich jeder Siebenter Telefon,
vermutlich waren es weniger.
Aber die Tonbandkassette von dem Auftritt habe ich noch,
Gut zu hören ist, wie verklemmt die Ostberliner waren
in ihrem unschuldig schlechten Englisch.
Deine Stimme geht jezt langsam
in das Hintergrundrauschen ein.
Der Blues vom Fathers Death bleibt mein Lieblingslied
jener Jahre, Bird Brain was ihr großartig leichtes Resümee.
Nur 1993 paßte alles zusammen, und ich konnte dir live zuhören,
« Orplid und Co.e.V. » sei Dank, Du kamst aust Sarajevo.
An dem Abend riefst du auf zum kulturellen « Blitzkreig »
und wolltest uns deutsche Intellektuelle allesamt
direkt vom Café Clara weg dorthin schicken . Das Wort
benutztest du wie einer, der so etwas darf.
Daraus ist nichts geworden.
Auch dein fröhlicher Umgang mit dem Ficken hat sich bei uns
nicht eingebürgert. Bekanntlich auch in Amerika nicht.
Dabei könnten wir gerade den jetzt gebrauchen,
kurz von Anno Domini 2000. Du weißt ja, wie’s heute aussieht.
Ziemlich brutale Freiheit. Ziemlich schwer auszuhalten
ohne dich.
Vineta
Suhrkamp Verlag, Franckfurt, 1998
Poème précédent en allemand :
Jacob van Hoddis (1887 – 1942) : Fin du monde / Weltende(09/07/2023)
Isamango (1964 -) « Je ne sais rien du métissage... »
Photo : Bruno Doucey, Poindimié, 2011
Je ne sais rien du métissage
rien de plus que ce qu’il donne
pour le partage
Je suis un silence habité
je suis pierre décousue en son centre
pour la naissance du rhizome
de nos bras à nos ventres
recevant l’appel du large sur la terre ferme
hanches d’azur et proue de femme-île
où retrouver repos refuge et feu
terre ronde
je tisse la mémoire de ma peau
aux visages qu’ensemence l’histoire
s’arrête ça
sang-mêlé
pierre sacrée
pierre d’aveux
pierre tubercule
pierre cœur donnant
pour que poussent les champs du monde
et naissent d’autres enfants
que tombe la pluie...
pierre d’espérance
quelques mots un signe et notre venue
posant des cils sur les dos trop voûtés
Soins lucides et gestes posés
pieds et mains du quotidien
araucarias algues et manguiers
peaux passerelle de ventres en fleurs
pour que balaie l’orage les couleurs
peaux sombres peaux claires
jusqu’au détour
chargeant le lieu de rives étrangères
clair-obscur de mon âme aimant la tienne
Je ne sais rien du métissage
rien de plus que ce qu’il donne
à mon sang......
(Quand chante le corail)
In, « Chants du métissage »
Editions Bruno Doucey, 2009
Ibn Al- Dja’bari (? – 1241) : Nuit de joie
Nuit de joie
Nuit de joie,
dans la demeure où j’ai été reçu.
Aucun nuage n’est venu troubler
mon bonheur.
Nuit de sérénité
la plus douce de ma vie.
Dans la coupe de mon vin,
des mains généreuses
ont versé des douceurs nouvelles.
Il a poli la coupe
avec Ses propres mains,
Celui qui est plus brillant
qu’un clair de lune,
le petit de gazelle !
Clair de lune éclatant
avec le rameau d’un saule,
Il s’avance, harmonieuse vibration ;
Et Sa taille est si fine
qu’Il fléchit en marchant.
Tout donner pour Sa rançon !
Lui, de taille mince et svelte,
volontiers, pour Son salut,
je deviendrai sourd et aveugle.
Dès l’instant où mon regard
s’est posé sur les aspects multiples
de Sa beauté,
éperdument je L’ai aimé.
Ô perfection de ce svelte maintien !
Fraîche prairie, verte splendeur !
Il a souri légèrement
lorsqu’Il a vu mon trouble.
Les dents de Sa bouche d’aromates
entre Ses lèvres
étincelaient.
Lorsqu’il eut développé
la finesse de Ses propos
j’ai senti en L’écoutant
un bien-être tout de douceur.
Lève-toi, ô prisonnier,
et fais ton butin
du but suprême de tes désirs !
Il se lève, dans un balancement
de rameau tendre,
ramage qu’agite la brise
légère, lorsqu’elle souffle
au point du jour.
Je L’ai étreint
de l’étreinte d’un assoiffé d’amour,
alors qu’en Lui, le vin nouveau
avait folâtré.
Ô ne cherche pas à savoir davantage...
Nous, dans un opulent jardin,
ô beauté de ce jardin
qui sous nos regards se déroule
ceint d’une couronne de perles
que les nuages porteurs de pluie
avaient déposées en présent !
Une colombe
murmure sa joie
sur les branches
et chaque rameau fléchit,
chaque rameau
chargé de fleurs,
chargé de fruits.
J’ai rejeté toute honte
dans le désir de Son amour,
et que cela m’était doux !
Transports de joie nés
avec la musique entendue,
douces mélodies
sur un luth sans cordes.
Et l’on polit la coupe,
et mon Bien-Aimé boit avec moi :
lune éclatante
entre les étoiles qui scintillent...
J’ai obtenu
ce que désirait ma passion,
la douceur de l’étreinte,
et le baume
d’une vie entière
en Sa compagnie,
sans calomniateurs et sans trouble.
Ô douceur de cette nuit !
Nous l’avons passée étendus sur des trônes,
côte à côte rangés,
couverts de rameaux fleuris,
glissant le long d’une rivière
de pur cristal.
Traduit de l’arabe par René R. Khawam
in, « La poésie arabe des origines à nos jours »
Editions Phébus, 1995
Du même auteur : L’Unique (21/09/2022)
Yûsui (? -) : « Solitaire automne... »
Momijigari – Crédits photo: Evemagazine
Solitaire automne –
un soupir ah ! le son
d’une cloche lointaine
Traduit du japonais par Roger Munier
In, « Haïkus des quatre saisons »
Editions du Seuil, 2010
Guillaume, duc d’Aquitaine, comte de Poitiers (1071 – 1127) : « Je ferai une petite chanson nouvelle... » / « Farai chansoneta n
Portrait de Guillaume IX de Poitiers dans un arbre généalogique du xive siècle consacré aux rois d'Angleterre.
Je ferai une petite chanson nouvelle
avant qu’il vente pleuve ou gèle
ma dame me mesure et m’éprouve
de quelle manière je l’aime
elle a beau me chercher querelle
je ne me délierai pas de son lien
Je me rends à elle et me livre
elle peut en sa charte m’inscrire
et je ne me tiens pas pour ivre
si j’aime ma dame bonne
car sans elle je ne peux vivre
tant j’ai de son amour grand faim
Elle est plus blanche que l’ivoire
aussi aucune autre je n’adore
mais si bientôt je n’ai pas d’aide
si ma dame bonne ne m’aime
je meurs par la tête de Saint Grégoire
sans baisers en chambre ou sous branches
Qu’y gagnerez-vous dame belle
si vous m’éloignez de votre amour
voulez-vous vous mettre nonne
sachez que je vous aime tant
que je crains la douleur qui me blesse
si vous ne réparez pas les torts dont je me plains
Que gagnerez-vous si je me cloître
si vous ne me retenez comme vôtre
toute la joie du monde est nôtre
dame si nous nous aimons
là-bas à mon ami Daurostre
je dis et commande qu’il chante et ne hurle
Pour elle je frissonne et je tremble
car de tant bon amour je l’aime
je crois qu’il n’en est jamais née semblable
en beauté dans le sillage du seigneur Adam
Adapté de l’occitan par Jacques Roubaud
in, « Les Troubadours. Anthologie bilingue »
Seghers éditeur, 1980
Du même auteur :
«Tout éjoui je ressens en amour... » / «Mout jauzens me prenc en amar .. » (19/09/2020)
Puisque j’ai le désir de chanter... » / Pos de chantar m’es pres talenz... » (19/09/2021)
« À la douceur du temps nouveau... » / « Ab la dolchor del temps novel... » (19/09/2022)
Farai chansoneta nueva
ans que vent ni gel ni plueva
ma dona m’assai’e-m prueva
quossi de gal guiza l’am
e ja, per plag que m’en mueva
no-m solverai de son liam
Qu’ans mi rent a lieis e-m liure
qu’en sa carta∙m pot escriure
e nom’ en tenguatz per iure
s’ieu ma bonad dompna am
quar senes leis non puesc viure
tant ai pres de s’amor gran fam
Que pluz ez blancs qu’evori,
per qu’ieu autra non azori
si-m breu no-n’ai ajutori
gum ma bona Dompna m’am
morrai, pel cap sanh Gregori
si no-m baiz’en cambr’o sotz ram
Qual pro auretz dompna conja,
si vostr’amors mi deslonja
par que∙us vulhatz metre monja
e sapchatz quar tan vos am
tem que la dolors me ponja
si no-m faitz dreg dels tortz q’ie-us clam
Qual pro i auretz s’ieu m’enclostre
e no-m retenetz per vostre
totz lo jois del mon es nostre
dompna s’amdui nos amam.
lai al mieu amic Daurostre
dic e man que chan e no bram.
Per aquesta fri e tremble
quar de tam bon’amor l’am
qu’anc no cug qu’en nasques semble
en semblan del gran linh N’Adam
Poème précédent en occitan :
Marcela Delpastre : Prélude/ Preludi (01/04/2023)
Abdellatif Laâbi (1942 -) : Une maison là-bas
Abdellatif Laâbi à la villa Empain. (c) Jérôme Hubert.
Une maison là-bas
Une maison là-bas
avec sa porte ouverte
et ses deux tourterelles
récitant inlassablement le nom de l’absent
Une maison là-bas
avec son puits profond
et sa terrasse aussi blanche
que le sel des constellations
Une maison là-bas
pour que l’errant se dise
j’ai lieu d’errer
tant qu’il y aura une maison là-bas
L’Arbre à poèmes
Editions Gallimard (Poésie), 2015
Du même auteur :
« Emmurée… » (12/04/2015)
« Je m’en irai… » (12/04/2016)
« Tu te souviens… » (12/04/2017)
Deux heures de train (12/04/2018)
J’aurai aimé t’emprunter tes yeux (12/04/2019)
« Ma femme aimée... » (12/04/2020)
Jean Lavoué (1955 -) : « Y a-t-il un point d’appui... »
Y a-t-il un point d’appui
Pour soulever les mondes
Une lueur insigne
A l’affluent de soi
Y a-t-il un amour
Rendant nos mains fécondes
Un silence complice
Nous tirant vers la joie ?
Y a-t-il un soleil
Eclaboussant tout bas
Même quand les nuages
Le voilent à nos yeux
Y a-t-il un secret
Pour nos paix vagabondes
Même si la violence
Nous cerne pas à pas ?
Y a-t-il entre nous
Des matins de colombes
Des sentiers fraternels
Un salut accordé
Une terre défrichée
Un vent dans les feuillages
Un Voie qui s’entrouvre
Une nuit pardonnée ?
Ce rien qui nous éclaire
L’enfance des arbres éditeur, 56700 Hennebont, 2017
Du même auteur :
« S’avancer sans craindre l’obscur ... » (22/09/2017)
« Nous marcherons ... » (22/09/2018)
« Oh ! Pays de naissance... » (21/09/2019)
« Si tu veux écrire ... » (17/09/2020)
« J’ai franchi le fleuve... » (17/09/2021)
« Ca y est tu remontes les biefs... » (17/09/2022)
Franck Venaille (1936 -2018) : « C'était bon d'avoir trente ans... »
Couverture Revue Europe (détail)
C'était bon d'avoir trente ans et de vivre à Paris où tant de femmes ressemblent
à des Gromaire
de caresser des nuques devenues timidement amies
en prononçant des paroles sans suite sans fin ni importance
banales et sereines parfois même imprévues
au rythme de la locomotive du sang des hardiesses et des désespoirs fulgurants
qui faisaient tituber maudire et regretter, parfois pleurer
souvent pleurer et nous réfugier dans une indifférence factice
prête à laisser jaillir ce feu qui nous consumait
au premier sourire à la première parole simplement aimable
à ce geste de la main vers notre main notre bras sur notre épaule
à nous qui marchions dévoré de tendresses et d'envies contradictoires
C'était bon de rire avec elles de parler avec elles de souffrir avec elles
et de tenter sa chance sans louvoyer
de dire notre détresse et notre solitude
et d'appeler encore plus de détresse et plus de solitude
déjà muré dans l'inextricable déchéance d'une vie aux espérances saccagées –
L’apprenti foudroyé
P.J. Oswald éditeur, 1969
Du même auteur :
la tête contre la vitre… » (26/02/2016)
« Ainsi nous portons tous… » (26/02/2017)
« Le marcheur d’eau… » (26/02/2018)
Cantos (07/09/2019)
« Et ne sachant pas vivre... » (16/09/2021)
« Malade à en vomir des pierres... » (16/09/2022)