Johannes Kühn (1934 -) : « Brouillard se dissipant au jardin... » / « Verfliegender Nebel im Garten... »
Brouillard se dissipant au jardin
Le brouillard, laine blanche qu’aucune fille
ne tire au rouet,
enveloppe le jardin
et se déplace
vers l’avant,
vers l’arrière,
puis se dissipe. Et dans leur éclat
se tiennent là, tulipes, anémones,
rosiers, haies de lauriers : du bonheur
qui pénètre les sens,
j’en fredonne
des chants purs et clairs,
chaque son bien senti,
chaque pas bien rendu me donne de la joie.
Hier il a plu
et d’un calice de fleur
je sirote l’eau stagnante,
puis cueille la fleur
dont le parfum me ravit.
05. 07. 2016
06. 07. 2016
Traduit de l’allemand par Joël Vincent
In, Revue « Temporel, N° 26, 25 Septembre 2018
Revue en ligne publiée par l’Atelier GuyAnne, 77144 Chalifert
Verfliegender Nebel im Garten
Nebel, weisse Wolle, die kein Mädchen zupft
an einem Spinnrad,
hüllt den Garten ein
und bewegt sich
vorwärts,
rückwärts
und verfliegt. Und in Pracht
stehn Tulpen, Anemonen,
Rosensträucher, Lorbeerhecken da : Glück,
das in die Sinne dringt,
rein und klar davon die Lieder,
die ich summe,
jeder gute Ton,
jeder gute Schritt gelingt zur Freude.
Gestern hatte es geregnet
und aus einem Blumenkelch
nipp ich stehndes Wasser,
pflück dazu die Blume,
der Duft beseligt.
05. 07. 2016
06. 07. 2016
Poème précédent en allemand :
SelmaMeerbaum-Eisinger : Chant de désir / Sehnsuchtslied (09/02/2021)
Heinrich Von Morungen (1150 - 1180) : « Las !... » /« Owê,.. »
12.VI
Las !
ne verrai-je plus jamais
dans la nuit l’éclat
plus blanc que neige
de son corps si bien fait.
Mes yeux abusés
croyaient que c’était la lueur de la lune –
et vint l’aube.
« Las !
ne passera-t-il jamais plus ici
la matinée ?
Puisse la nuit s’écouler pour nous
sans que nous ayons à nous lamenter :
« Las ! il fait jour à présent »
C’est ce qu’il s’écria plaintivement
la dernière fois qu’à mes côtés il reposa –
et vint l’aube. »
Las !
Que de baisers elle me donna
dans mon sommeil !
Ses larmes ruisselaient
le long de ses joues.
Mais moi je la consolai
si bien qu’elle cessa de pleurer
et m’enlaça étroitement –
et vint l’aube.
« Las !
combien de fois
il s’es repu de ma vue.
Lorsqu’il m’eut découverte,
il voulut sans vêtement
voir mes bras nus.
C’est grande merveille
qu’il ne s’en soit jamais lassé –
et vint l’aube. »
Traduit du moyen-haut allemand par
Danielle Buschinger, Marie-Renée Diot
Et Wolfgang Spiewok
In, « Poésie d’amour du Moyen Age allemand »
Union Générale d’Editions (10/18), 1993
Du même auteur :
« Des regards douloureux... » / « Leitlîche blicke... » (11/04/2018)
« Jamais, saisi d’une telle allégresse... » / « In sô hôher swebender wunne ... » (11/04/2019)
« Il arrive qu’un homme... » / « Von del elben wirt entsehen... » (11/04/2020)
12.VI
Owê, -
Sol aber mir iemer mê
geliuhten dur die naht
noch wîzer danne ein snê
ir lîp wil wol geslaht ?
Der trouc diu ougen mîn.
ich wânde, ez solde sîn
des liehten mânen schîn.
Dô tagte ez.
« Owê, -
Sol aber er iemer mê
den morgen hie begaten ?
als uns diu naht engê,
daz wir niht durfen klagen :
« Owé, nu ist ez tac, »
als er mit klage pflac,
dô er júngest bî mir lac.
Dô tagte ez »
« Owê, -
Si kustè âne zal
in dem slâfe mich.
dô vielen hin ze tal
ir trehene nider sich.
Iedoch getrôste ich sie,
daz sî ir weinen lie
und mich al umbevie.
Dô tagte ez.
« Owê, -
Daz er sô dicke sich
bî mir ersehen hât !
als er endahte mich,
sô wolt er sunder wât
Mîn arme schouwen blôz.
ez was ein wunder grôz,
daz in des nie verdrôz.
Dô tagte ez »
Des Minnesangs Frühling.I
Nouvelle édition revue par H.Moser et H. Tervooren.
37ème édition, Stuggart, 1982
Poème précédent en moyen haut-allemand :
Walther von DerVogelweide : -« Une attente pleine de joie... » / « Mich hât ein wünneclîcher wân... » (15/09/2020)
Jacque Réda (1929 -) : L’aurore hésite
L’aurore hésite
Les arbres penchés dans le brouillard immobile
Écoutent le cri de l'oiseau sans patrie.
On passe avec effroi par le chemin de terre :
La haute plaine au-delà n'existe plus,
Les buissons et les pierres sont en exode.
Au milieu du jardin tombé en déshérence,
La source rentre sous l'argile et pas un brin
D'herbe ne bouge. Mais on parle à mots couverts
Derrière la clôture où s'attarde l'odeur
D'un feu mouillé qui rôde. Est-ce vraiment l'aurore ?
Dans le brouillard qui s'épaissit luit le tranchant
Des faux laissées sur la pelouse obscure. Cependant,
Je marche d'un bon pas sous le cri mat de l'oiseau
Et les arbres enchaînés m'accompagnent.
Amen
Editions Gallimard, 1968
Du même auteur :
Elégie de la petite gare (10/04/2015)
Aux environs (10/04/2016)
Pluie du matin (10/04/2017)
« Quand montant de la porte d’Orléans… » (10/04/2018)
Oraison du matin (10/04/2019)
Le soir, rue de la Duée (10/04/2020)
Pierre Reverdy (1889 – 1960) : Trois poèmes
Pierre Reverdy par Pablo Picasso
Trois poèmes
1
Un carré de rayon s’abat sur la lumière
Ailleurs il fait sombre
Et je vois voler mon chapeau
Et vos doigts me disent le nombre
des oiseaux
Qui sont dans la cage d’en face
La fenêtre fait une grimace
Le rideau
se lève
Et celle qui me regarde
est belle
Derrière il y a de l’eau
Une glace
Et l’ombre danse à travers les carreaux
Soleil
Merveille
C’est une danseuse irréelle
Sur le bout des arbres du boulevard.
Les grelots tintent
il est tard
Et nos souvenirs carillonnent
Un soldat fatigué s’endort sur le rempart.
2
Une lettre écrite à l’envers
La main qui passe sur ta tête
Et l’heure
Où l’on se lève le matin
Soleil rouille
Vitre fondue
Nature morte
Le courant d’air ferme ma porte
Et les songes m’ont réveillé
Il y a encore une bougie qui brûle
3
Quelque temps passe
La Nuit claire
Un mauvais soleil s’est levé
Le lendemain
Un vieillard à genoux tendait les mains
des animaux couraient tout au long du chemin.
Je me suis assis
J’ai rêvé
Une fenêtre s’ouvre sur ma tête
Il n’y a personne dedans
Un homme passe derrière la haie
La campagne où chante un seul oiseau,
Quelqu’un a peur
Et l’on s’amuse
Là-bas entre deux petits enfants
La joie.
Toi contre moi.
La pluie efface les larmes.
On ne peut pas marcher dans le sentier étroit
On rentre du même côté
Mais il y a une barrière
Quelque chose vient de tomber
Là-bas derrière
Une ombre plus grande que lui-même fait le tour de la Terre
Et moi je suis resté assis sans oser regarder.
Revue « Nord-Sud, N°2, 15 Avril 1917 »
Librairie Monnier, 1917
Du même auteur :
Cran d’arrêt (12/06/2014)
Tard dans la vie (13/11/2014)
Chemin tournant (09/04/2016)
Tendresse (09/04/2017)
Arc-en-ciel (09/04/2018)
« La neige tombe... » (09/04/2019)
Mémoire (09/04/20)
Rutebeuf (1230 – 1285) : La grièche d’été
La grièche d’été
En rappelant ma grand folie
qui n’est ni gente, ni jolie
mais est vilaine
et vilain celui qui la conte,
me plains sept jours en la semaine
et par raison.
Jamais nul ne fut si perdu !
En hiver toute la saison
j’ai tant œuvré
et je me suis tant appliqué
qu’en oeuvrant n’ai rien recouvré
dont je me couvre.
C’est fol ouvrier et folle œuvre
qui par son travail rien ne gagne :
tout tourne à perte
et la grièche est si experte
qu’« échec » dit « à la découverte »
à son servant
qui n’a plus alors nul recours.
Juillet lui semble février.
.......................
Tant sont venus
des gens qu’elle a retenus ;
tous ceux de sa troupe sont nus
et déchaussés ;
et par les froids et les chaleurs,
même le plus grand sénéchal
n’a robe entière.
C’est la façon de la grièche
qu’elle veut avoir gent légère (*) (*) légèrement vêtue
à son service :
une heure en cotte, une autre en chemise.
Telle gent aime, je vous dis,
trop hait riche homme :
à point le tient, à poing l’assomme.
En peu de temps il sait la somme
De son avoir ;
Pleurer le fait son ignorance ;
Il n’a souvent que du gruau
quand les autres ont de l’avoine.
Tremblé m’en a la grande veine.
De leur conduite, vous dirai :
j’en ai assez,
souvent j’en ai été lassé.
Mi-mars quand le froid est passé
Ils (*) notent (**) et chantent ; (*) les musiciens, (**) jouent de la musique
Les uns et les autres se vantent
Que, si deux dés ne les enchantent,
Ils auront robe.
L’espérance les sert en ruse
et la grièche les détrousse ;
la bourse est vide.
.................
Ailleurs leur esprit doit aller,
car deux tournois,
trois parisis, cinq vienois
ne peuvent pas faire un bourgeois (1)
d’un pauvre nu.
..........................................
Et avril entre,
et ils n’ont rien à part leur ventre.
Mais ils sont vite et prompts et prestes
s’ils ont enjeu.
lors vous les verriez s’affairer
à prendre et à jeter les dés :
voici la joie !
Il n’y a pas si nu qui ne s’égaie ;
plus sont seigneurs que rats sur meule
tout cet été.
Trop ont grande froidure été ;
or Dieu leur a prêté un temps
où il fait chaud,
nulle autre chose les occupe :
ils savent tous marcher pieds nus.
(1) Jeu de mots ; bourgeois désigne aussi une monnaie
Traduit du vieux français par Serge Wellens
in, Revue « Poésie 1, N°7 »
Librairie Saint-Germain-des-Prés, éditeur, 1969
Du même auteur :
Le dit des ribauds de grève (08/04/2019)
La grièche d’hiver (08/04/2020)
Jean Cocteau (1889 – 1963) : Le Requiem : Première période
Le Requiem
La magnifique et sauvage déraison de la poésie
vous réfute, sectateurs de l’utile. C’est justement la
volonté de se délivrer de l’utile qui élève l’homme au-
dessus de lui-même.
Le Gai Savoir.
PREAMBULE
A force de vouloir être
Dans cette solitude où
De n’être rien les autres craignent
A force d’oublier de vivre
Traqué par la peur d’un esclandre
Evitant que n’importe quel
Joyeux drille ne s’aperçoive
De mon effort d’être je n’ose
Ni manger ni boire ni
M’attabler au bord de leurs danses
A force de vivre sous
L’uniforme mal connu
D’une légion étrangère
A force de me donner l’air
De n’avoir pas l’air à force
De m’engluer dans mes pièges
A force de me dire s’ils veulent
Voir mes papiers je suis perdu
Bref à force de feindre
D’être des leurs moi le voleur
Aux semelles de silence
A force de donner le change
Et pour l’ombre d’un bossu
Avoir pris celle des anges
Et d’alourdir mon scaphandre
D’œuvres de plus en plus suspectes
A la barque des beaux rameurs
A force de suivre les ombres
De fantômes sans châteaux
Styx sur tes désertes rives
Sans avoir vécu je meurs.
PREMIERE PERIODE
Le poète salue sa maladie
21 février 1959.
Salue bonne maladie
Ô sainte maladie ô chambre
D’Ursule où s’échafaude
Un Orient actif de princes
De scribes d’archers de pages
D’ambassadeurs enturbannés
De minarets de mâtures
Par la seule grâce d’un ange
Aux pieds ne touchant pas le sol
Bel ange de la maladie
Qui nous lave de la boue
Sur les trottoirs citadins
Eclaboussés par les carrosses
Me voilà faisant la planche
Sur les eaux du fleuve d’oubli
Dors Ursule dors chien d’Ursule
La main d’une palme armée
A travers les portes tu vins
Me vider de mon vin rouge
Ma danseuse sur les vagues
Vogue légère ma bouteille
Ma bouteille à la dérive
Ma folle bouteille à la mer
Salut chambre de malade
Lit de justice
Trône de roi
Salut mur des cris écrits
Merci prison grande ouverte
De témoigner contre moi.
*
Dans le soir vîmes voler l’aile
Enroulée au front du conscrit
Un chapeau qui de bois rayonne
Un Christ au chapeau de cris
Un Christ coiffé d’hirondelles
Un Christ auréolé d’elles
Un Christ couronné de cris
Et vîmes sur le toit du monde
Chinois manger leur bol de riz
J’ai peur d’apprendre où vous êtes
Iris noir brandissant le sexe des pistils
Et j’aimerais savoir où sont
Lhassa vos trompettes funèbres
Et j’aimerais savoir où sont
Les pilotes de ces trompettes
Qui franchissent le mur du son.
*
On m’a offert une rose
Rose à droite de ma couche
Lèvres que le soleil farde
Une exquise et fraîche blessure
Une drôle d’ouverture
Sur les tripes maternelles
Auprès de ma tête de mort
Bouche d’ombre pompant telle
Sa sœur aux nombreuses joues
Son parfum dans les tombeaux
Rose à paroles ni rouge
Ni jaune ni rose ni blanche
Qu’un reste de sang arrose
Au maigre sommet de mon corps
Puis-je comparer nos sondes
Lorsque la légère la lourde
Erige avec impudeur
En haut d’un col épineux
Sa petite bouche profonde
*
Ventre Saint-Gris sous cet arbre
Sous cet arbre aux membres secs
Les archers du roi vous pendent
Haut et court tirant la langue
Au vent d’automne qui vous berce
Epouvantails dont une branche
Soudain furieuse crache
Sa sève opaline vers
La naissance des mandragores
*
Il faut en entendre il faut
En voir de toutes les couleurs
En entendre et en voir de toutes
Les couleurs du vrai du faux
Il faut en voir pauvre Ursule
Et ce vieux drapé dans sa barbe
Sur les pendules
Tenant sa faux
*
Il y a longtemps que de mes
Lignes insignifiantes
J’ai fait une longue cravate
A mettre autour de votre cou
Promis au bourreau par vous cru
Distributeur de récompenses
Dans le petit matin cru
Un royal collier de chanvre
Où les grenats de votre sang
Goutte à goutte feraient merveille
Longtemps qu’une adroite main
De gloire à votre usage noue
Cet Ordre que la Toison d’or
A longue distance m’envie
Et que les hommes de la vie
Offrent aux hommes de la mort.
*
Irrésistiblement s’aimante
Une limaille de fer
Prompte à se grouper pour suivre
N’importe quel souffle de cuivre
Pleurez pleurez pauvres amantes
Rose au chapeau jeune soldat
Il y en avait de charmantes
Car cette aile sur le conscrit
Tombera mieux que feuille morte
Et toutes sur le seuil des portes
Bouche ouverte en forme de cri
*
C’est de la sorte que les mondes
S’ils nous craignent j’en doute fort
Sans être écoeurés par leurs rondes
Se bâtissent des châteaux forts
Et l’on vit l’étoile Absinthe
Accompagner dans sa chute
Celle du prince Lucifer
Et l’autre limaille de fer
Vouloir regrouper ses troupes
Et sa hâte des descendre
Par une échelle écarlate
Bousculait avec insolence
Les sauveurs au casque d’or
*
Quelque part en de faux cieux
Un temple érotique formé
Par des géants nus s’écroule
Et de roche en roche se perd
Au fond des gorges profondes
Bestiales musculatures
Herculéennes d’une équipe
Que déguisait en colonnes
L’architecte des Enfers
Ce sont eux voyez ce sont eux
Criaient des voix de fin du monde
Et leur innombrable avalanche
Nouant ses membres houleux
Par une chute sans fin
Punissait le temple feint
*
L’arbre de Noël Tannenbaum
Vertes sont ses feuilles refuge
De cette limaille sous forme
De noix d’or boules de couleur
Cheveux d’anges girandoles
Prenait on s’en doute racine
Dans l’appartement du dessous
Et ses racine n’étaient autres
Qu’un lustre en verre de Venise
Tortueusement riche d’où
Se détachent jusqu’au parquet
Constellé de naphtaline
Des mottes de terre meuble
Où pullule une colonie
De rouges noires et puantes
Et plates punaises des bois
*
Sésostris des malles conservent
Vos deux profils crochus d’aiglon
Côte à côte emballés par
Les embaumeurs sacerdotaux
Dans cette pyramide propre
A momifier cette espèce
De Phénix habile à renaitre
En dalinienne savante
Et sage phénixologie
*
Que dire en face de ce bloc
Géométrique apte à se taire
Pareil l’Eros aptéros
Espèce d’Icare dupe
Du chef mielleux de l’Olympe
En ruche travesti d’abeilles
*
Postiche était la barbe d’or
La saisissant entre le pouce
Et l’index il se change en elle
Sur son bouclier adapte
Le chef de la Méduse aux boucles de reptiles
Et cet or barbu jette en détournant les yeux
Dans le fleuve où boivent les dieux
Ce matin là c’était l’été
C’était l’été c’est le Léthé
C’est l’enfance de l’art sur ses bords allaité
*
Le clair de lune ayant posé ses sentinelles
Dormait le mot de passe à chacune d’entre elles
Et l’on voyait au loin par les créneaux des tours
Hélène s’affubler de ses riches atours
C’est alors d’un cheval de bois au ventre fée
Que descendit la mort en tueurs attifée
Et la froide ¨Pallas qui jamais ne s’assoit
Coupait en deux le ciel de soie
Ouvrait et fermait ses ciseaux
Et remplissait le soir d’un ouragan d’oiseaux
*
D’où sortez-vous décapité de plumes
Buste fait de becs criards
Les docteurs Goudrons et Plume
Surent vous peindre avec art
Un vrai radeau de la Méduse
Une barque de Charon
Le gondolier de la Duse
Maniant l’unique aviron
Et l’anneau nuptial du Doge
Vieux mari de l’Adriatique
On était aux premières loges
Pour voit la tragédie antique
Se jouer au musée de l’Homme
Ou bien au British Museum
*
Décapité de plumes rouges
Borne de haine écarlate
Faisan foudroyé par une
Décharge de chevrotine
Rubis du crime
Avec vos yeux de coquillages
Et par vos fiches transpercée
La Gorgone de Persée
*
Fleuve des morts firent la planche
Ceux couchés sur l’eau plate ils crurent
Qu’on pouvait se mirer dans
Un miroir que bouche n’embue
Mais ce fleuve n’ayant plus d’âge
Plutôt pareil à quelque marécage
Propice aux chasseurs de sarcelles
S’il ne trompe bec et plumes
Trompe les hommes sous le voile
D’un apiculteur photographe
Car de cette eau les dieux ont bu
Que n’y boive et prenne garde
Qui confondrait eau pure avec
Celle du miroir à manche
D’os où se mirent les morts.
*
Au fond voici de ma poche
La clef des songes et des champs
Même la clef de sol des chants
Voici sans vous faire un reproche
La pancarte des chiens méchants
Les pièges à loups et le piège
Du chevalier sous la neige
Avec le diable trichant
Chevalier de belle mine
Je vous trouve fort léger
Je vous avertis d’un danger
Le temps de compter jusqu’à trois
Le diable peut se faire hermine
Et tacher le manteau des rois
*
Ce fut le bouquet d’anémones
Sur une nappe mise par
Une plate neige où les drôles
De Breughel jouent sur le velours
Cœur de charbon cottes et dagues
Poison mortel dans les bagues
Arquebuses piques remparts
Et Jeanne dite la Pucelle
Avec ses jambes de métal
De chaque côté de la selle
Bref un bouquet au cœur noir
Que de sa main de vieux saule
Copiait Auguste Renoir
Tandis que nous vîmes au bord
D’un golfe Icare l’aptère
Déplumé de chaque épaule
Rejoindre l’amoureuse terre
Chacun son tour chacun son tour
Chacun son tour mieux vaut se taire
Mieux vaut ne pas monter au sommet de la tour
*
L’écu royal fait par la jointure des pouces
Le serment figurant l’écu
Crapauds capétiens des marais de Lutèce
Devîntes fleurs de lys et vous
Vieux druides aux serpes d’or
Ecrasant les gouttes de sperme
Du gui neuf danseurs de Saint-Guy
Du haut mal et des écrouelles
La Reine les beaux les belles
Aux fenêtres place de Grève
De Cartouche le corps imberbe
Virent les membres arracher
Sur quelle herbe sur quelle herbe
Sur quelle herbe avaient-ils marché
*
Le couteau d’un manche plus rare
Que sceptre royal asperge
D’écarlate les perles sur
Le poitrail du prince lorsque
L’hermine à mainte noire queue
Reçoit le jet du régicide
Lorsque l’échanson voit la bouche
Pleine d’ombre ouverte en silence
Britannicus avec ses mains
Sur son ventre plié en deux
Et tandis que pages évêques
Cardinaux ministres papes
Nobles sires et tristes sires
Il y en a pour tous les goûts
Vers le royaume des égouts
Louvre basculent dans vos trappes
Sous son bonnet d’as de pique
Catherine tirant la langue
Comme une élève qui s’applique
Pique une figure de cire
*
Sous un angle étrange la peau
Loin de l’os en pointe se drape
Vers le bas et vers le haut
Bat le nœud fluvial des veines
Bat en berne la chamade
Le tambour des nocturnes grappes
Quel joli chapeau d’églantines
Penché sur l’oreille gauche
Quelle couronne précieuse
Touchant l’épaule mise en pointe
Par l’absence de chemise
Par les câbles de bras en l’air
Avez-vous compris ce mélange
De sueur de glaires de morves
Et du coin entrouvert des lèvres
Comme d’un oeil crevé coule
La fontaine délicieuse
Où se désaltèrent les anges
*
Piège de Léonard Joconde
Un jeune drôle travesti
Allait intriguer le monde
Ah que le monde est donc petit
C’est de la sorte qu’on se change
En Vierge Victoire ou David
L’art d’accommoder le vide
Ou recette de Michel-Ange
Mais la rosace du centre
Déjouant le peuple élu
Glorifie un jeune ventre
Par la grâce d’un salut
*
HALTE
Hommage à Léonard
Le silence debout sans porte de sortie
Aspire au gel astral des recommencements
Et le délicieux reptile des amants
S’échappe de la touffe atroce des orties
A votre école Sade un attentif valet
Imite les détours où s’illustre le maître
Pour ce jeune coquin vivre est plus simple qu’être
Lorsque sa bouche d’ogre une perle avalait
Hirondelles du soir sont les pieds du cycliste
Dont la beauté s’ignore et derrière son dos
La vitesse en velours referme ses rideaux
Sur ses cornes et ses jambes paysagistes
Page médiéval d’une feinte pucelle
Reine du sceptre d’or auquel sa bourse pend
Toi le fakir hindou vêtu d’un seul serpent
Notre charmeur de pneus colle au cuir de la selle
Le voilà notre couple innombrable d’Adam
Et d’Eve elle un lac froid et lui le cou du cygne
Et la bête à bon Dieu sous leurs feuilles de vigne
Pour se réfugier cherche un buisson ardent
Ô merveille ce verbe auquel je m’abandonne
Ce silence complice et comprendre la main
D’un ange sac au dos sur le bord du chemin
Avec n’en doutez pas sourire de Madone
Halte
Le stratagème encore a réussi
D’où j’allais son index adroitement m’écarte
Et montre le royaume inconnu sur la carte
Où triomphe l’échec glorieux de Vinci.
Fin de la halte
5 mai 1959.
*
Un pied sur le sol un pied dans le vide
Boîte le poète vainqueur
De l’étranger qui le déhanche
Et retourne exprès vaincu
Dans un règne où se désincarne
Sa figure imaginaire
Un pied dans le vise un pied sur le sol
Le poète vainqueur boîte
Pareil aux enfants qui jouent
Au bord des trottoirs de leur ville
Et c’est à cette boiterie
Que la gloire le reconnaît
Un pied dans la veille un pied dans le songe
Le somnambule se meut
Sous les toits de lune où sanglotent
Les chats tourmentés par l’amour
Et l’adroite mort qu’il courtise
Le guide en lui tenant la main
*
Gordien tel était le nœud
De vipères sur le chef
De la Gorgone Méduse
Tel celui dont ma main d’aveugle
Cherche à dénouer lentement
Les initiales hostiles
Il semble voir le corbeau
Perché sur le buste antique
« Plus jamais » disait le bec jaune
« Plus jamais ne sera le beau »
*
Mes amis mes chers amis
Où la mort vous a-t-elle mis
Je n’avais qu’à tourner la tête
Déjà vous étiez où vous êtes
Et moi seul de l’autre côté
Chacun de vous me fut ôté
Comme on se perd dans une fête
Pas de poste dans leur patrie
Et n’attendez ni d’eux ni d’elles
Qu’ils puissent donner des nouvelles
Où sont Madeleine et Marie
Où sont Raymond et les deux Jean
Roland Marcel et nommerai-je
Ce Dargelos le bel élève
Armé d’une boule de neige
La voleuse qui les enlève
En a voulu pour son argent
HALTE
Amis inconnus chers amis
Il me fut donné d’être dupe
Et de battre la campagne
Et les plus hautes certitudes
Jouer à pair ou impair
Ivre de sotte gloriole
Cela m’a sauvé d’une pente
Sur laquelle en ligne droite
Vous glissez et m’a permis
A vingt et un ans de renaître
D’accrocher aux églantines
A gauche de la porte étroite
La peau monte d’où je sors
Et dans ma vieille âme enfantine
Sachant enfin que qui perd gagne
Apprendre que qui gagne perd
Fin de la halte
*
Je m’incline au passage afin
Que vos noms par la poésie
De siècles en siècles se lèguent
Considérables idoles
Pour qui la richesse n’est rien
Que socle en or des solitudes
Sachant mieux que ceux qui savent
Laurés par la mystérieuse
Ecole où nul maître n’enseigne
Le secret des hautes études
Vous qui de moi n’avez rien lu
Ou presque et dont je ne parle
Pas la langue natale Duc
De Westminster Aga Khan
Lord Beaverbrook vieux camarade
Sachant m’envelopper d’une onde
Chaude même après la mort
De quel magique manteau
De quelle phosphorescence
Suis-je vêtu de quel aura
Ceinte ma tête distante
Pour que de votre dédain
La glace à mon approche fonde
Fondent vos cuirasses de neige
Et que votre geste ordonne
Qu’on abaisse mon usage
Les ponts-levis qui vous enferment
Dans vos invincibles châteaux
Par quels sens par quels radars
Avez-vous respecté mes nombres
Et pourquoi sourds à mes paroles
M’apprîtes-vous vieux pirates
Le Sésame de vos cavernes
*
Prenez garde aux Ides
De mars un sabot fendu
Haut levé dans le vide
Pan vous écouterait-il
Dirait-on pas son tortil
Les cierges de la chapelle
Suant de peur à grosses gouttes
Autour de la Vierge espagnole
Elle écoutait de tout son corps
Le duc rouge sonner du cor
Et les aboiements de la meute
Mais si la Madone l’abrite
Sous son glorieux manteau
Ce n’est se dira l’émeute
Qu’un soldat mort dans sa guérite
Assassiné par sept couteaux
COSI FAN TUTTE
On me conte tu deviens vieille
Et que puissent-il mentir
Ta beauté regarde partir
Ce qui la rendait sans pareille
On me dit que ce qui m’a plu
Et te faisait de tous aimée
Va s’évanouir en fumée
Et que rien n’en reste plus
Puisque le mal est fait ne puis-je
Rafraîchir l’eau de tes yeux pers
Et par quelque amoureux prodige
Te donner la fleur que je perds
*
Entre les barbelés coupés de miradors
Tombait mollement la neige chinoise
Et le grand lac bleu nommé Koukou Nor
Ignorai la France et ma Seine-et-Oise
J’y cherchais le sommeil comme les chercheurs d’or
Car libre enfin se croit un prisonnier qui dort
Je me suis décollé de toi colle presque
Exquise de mon refuge
Non loin des lieux où mon sang devint fresques
Mais loin du tribunal des juges
J’ai dormi j’ai rêvé j’ai lu
Peu à peu libre en ma cellule
Mouche j’aimais mon miel oiseau j’aimais ma glu
Ma vibrante immobilité de libellule
Voici le nouveau masque adopté par mon piège
L’ennemi revêtu des armes de l’ami
Le plomb accroché sous le liège
Ma bouteille vide à demi
Serait-ce à votre droite assise séquestrée
Perséphone inclinant la tige du pavot
Et son lait allégeant la moelle de mes os
De ma chambre un dragon interdisait l’entrée
*
Vise tueur au bout du pistolet des cygnes
Cet éternel présent qui se nomme demain
Car si Minerve pose un temple sur sa main
C’est pour dissimuler qu’elle n’a pas de lignes
Pauvres enfants tendez vos rouges tabliers
L’homme de ses malheurs veut être responsable
Vous n’y recevez que le sable
Qui s’écoule des sabliers
HALTE
Tombeau de Cléopâtre
Océanique un socle à jamais étonné
Par Cléopâtre offerte aux robustes fatigues
Cependant qu’une mort sourde aveugle et sans nez
Dissimule son noir paraphe sous des figues
Oracle ou mythe ou songe ou mirage des mers
Eussent-ils ces Romains dupes de gloire vaines
Et du naïf orgueil d’un triomphe à l’envers
Mieux que l’aspic mordu les pampres de ses veines
Mais non morte pareille aux Pharaons tapis
Dans l’ombre de vos sépulcres géométriques
Egypte ou bien roulée en un riche tapis
Oriental trésor d’une arrière-boutique
Pégase il jaillissait des pourpres de son cou
L’aile gluante encore et plumes que déploie
Le farouche éventail des neuf muses jusqu’où
Suivre un autre cheval sur les remparts de Troie
Fin de la halte
Le Requiem
Editions Gallimard, 1962
Du même auteur :
« Je n’aime pas dormir… » (19/01/2014)
« Contre le doute… » (19/0120/15)
Préambule (07/04/2016)
Prairie légère (07/04/2017)
Le chiffre sept (07/04/2018)
La forêt qui marche (06/04/2019)
Le séjour près du lac (07/04/2020)
Karadja-Oghlan (17ème siècle) : « O vent de l’aube... »
O vent de l’aube, salue la bien-aimée de ma part
il m’est venu une telle envie de revoir mon pays
le cœur désire, mais à quoi bon
je n’y peux rien, des gens barrent notre chemin.
Le shah d’Iran nous a envoyé missive
le chagrin nous a assailli de ses hordes
le cruel destin nous a consumés
et il a dispersé nos cendres au vent.
Mon fardeau c’est la peine, j’en achète et j’en vends
je brûle et m’enfume comme la phalène
dans l’autre monde je prendrai le destin à la gorge,
qu’il n’abandonne pas nos roses aux indignes.
Je n’ai plus de doute dit Karadja-Oghlan
désormais je n’aurai plus pitié de mes rivaux.
Je n’ai plus la force d’atteindre nos pays
Que ma belle n’attende plus notre retour.
Traduit du turc par Gérard Chaliand
in, « Poésie populaire des turcs et des kurdes »
François Maspero éditeur, 1961
Du même auteur :
« J’ai parcouru … » (06/04/2018)
« Belle dont j’aime les yeux bruns ... » (06/04/2019)
« Lorsque la Tchoukhourova... » (05/04/2020)
Herberto Helder (1930 – 2015) : Lettre de la passion / A carta da paixão
Lettre de la passion
Cette main qui trace l’ardente mélancolie
de l’âge
est aussi celle qui serpente aux sources de la tête,
qui ouverte à l’image du monde entre
les deux tempes
attise le cœur somptueux. La démence sillonne
sa brûlure des recoins de noirceur
où
se forment
les saisons jusqu’au faîte,
dans les soies qui glissent avec la largeur
fluviale
de la lumière et son écume, ou de la nuit et ses nébuleuses
et le silence tout blanc.
Les doigts.
La montagne marche sur le cœur qui s’illumine : la langue
s’illumine. Plus sombre est le miel dans la veine
jugulaire qui cisaille
la gorge. En cette main qui écrit plonge
la lune, et de haut en bas, dans tes grottes
obscures, la lune
tisse les ramifications d’un sang plus salé,
plus profond. L’ivoire de la terre mûrit
ainsi qu’une constellation. Le jour l’emporte, la nuit
le ramène contre la tête : cette racine
d’os vivant. L’âge que je trace
s’écrit
sur un bras enfoncé en toi-même, une veine
de
ton arbre. Ou un filon calciné d’un bout à l’autre
de la figure creusée
dans le miroir. Ou encore la fente
au front d’où nait l’étoile animale.
L’ample désordre des images,
te brûle. Et travaille en toi
le soupir du sang courbe, un aliment
violent plein
d’une lumière entrelacée à la terre. Les mains charrient la force
depuis la racine
des bras, la force
manie les doigts dans l’écriture de l’âge, une flamme
fermée, la blessure
limpide qui me traverse depuis cette légèreté qui t’appartient
comme une danse sombre jusqu’au
pouvoir dont je te touche. Le changement. Nulle
saison qui soit lente quand tu t’agrandis dans le désordre, nul
astre
aussi féroce qui s’empare du lit entier. Les pores
de ton vêtement.
Les mots qu’en courant je trace
dans la limaille. Ta bouche : un trou lumineux,
artériel.
Et le vaste lieu anatomique où tu palpites comme un drap labouré.
Vorace est la passion, le silence
se nourrit
fixement d’un miel empoisonné. Et toute
je t’écris
dans la comète qui étreint tes hanches comme un baiser.
Les jours concaves, les chambres baignées, les nuits qui croissent
dans les chambres.
Le paysage naissant est d’or : je le tors
entre mes bras. Il y a des linges vivants, l’éclair
immobile des fruits. L’incendie derrière les nuits ouvre
par le milieu
l’étreinte de notre mort. L’assise des visages
vaguement fous
engouffrés, entre les mains somptueuses.
Douceur assassine.
Bouillonnement lumineux.
Haute est la terre.
Tu es le nœud de sang qui m’étouffe.
Tu dors dans mon insomnie comme l’arôme entre les tendons
du bois froid. Tu es une lame qui perce ma
vie secrète. Et tels des étoiles
doubles
consanguines, de l’un à l’autre nous luisons
dans les ténèbres.
Traduit du portugais par Magali et Max de Carvalho
in, « Anthologie de la poésie portugaise contemporaine 1935 -2000 »
Editions Gallimard (Poésie), 2003
Du même auteur :
Source (2,3,6) (05/04/2019)
Elégie multiple (1,3) (05/04/20)
A carta da paixão
Esta mão que escreve a ardente melancolia
da idade
é a mesma que se move entre as nascenças da cabeça,
que à imagem do mundo aberta de têmpora
a têmpora
ateia a sumptuosidade do coração. A demência lavra
a sua queimadura desde os seus recessos negros
onde se formam
as estações até ao cimo,
nas sedas que se escoam com a largura
fluvial
da luz e a espuma, ou da noite e as nebulosas
e o silêncio todo branco.
Os dedos.
A montanha desloca-se sobre o coração que se alumia: a língua
alumia-se: O mel escurece dentro da veia
jugular talhando
a garganta. Nesta mão que escreve afunda-se
a lua, e de alto a baixo, em tuas grutas
obscuras, essa lua
tece as ramas de um sangue mais salgado
e profundo. E o marfim amadurece na terra
como uma constelação. O dia leva-o, a noite
traz para junto da cabeça: essa raiz de osso
vivo. A idade que escrevo
escreve-se
num braço fincado em ti, uma veia
dentro
da tua árvore. Ou um filão ardido de ponto a ponta
da figura cavada
no espelho. Ou ainda a fenda
na fronte por onde começa a estrela animal.
Queima-te a espaçosa
desarrumação das imagens. E trabalha em ti
o suspiro do sangue curvo, um alimento
violento cheio
da luz entrançada na terra. As mãos carregam a força
desde a raiz
dos braços a força
manobra os dedos ao escrever da idade, uma labareda
fechada, a límpida
ferida que me atravessa desde essa tua leveza
sombria como uma dança até
ao poder com que te toco. A mudança. Nenhuma
estação é lenta quando te acrescentas na desordem, nenhum
astro
é tao feroz agarrando toda a cama. Os poros
do teu vestido.
As palavras que escrevo correndo
entre a limalha. A tua boca como um buraco luminoso,
arterial.
E o grande lugar anatómico em que pulsas como um lençol lavrado.
A paixão é voraz, o silêncio
alimenta-se
fixamente de mel envenenado. E eu escrevo-te
toda
no cometa que te envolve as ancas como um beijo.
Os dias côncavos, os quartos alagados, as noites que crescem
nos quartos.
É de ouro a paisagem que nasce: eu torço-a
entre os braços. E há roupas vivas, o imóvel
relâmpago das frutas. O incêndio atrás das noites corta
pelo meio
o abraço da nossa morte. Os fulcros das caras
um pouco loucas
engolfadas, entre as mãos sumptuosas.
A doçura mata
A luz salta às golfadas.
A terra é alta.
Tu és o nó de sangue que me sufoca.
Dormes na minha insónia como o aroma entre os tendões
da madeira fria. És uma faca cravada na minha
vida secreta. E como estrelas
duplas
consanguíneas, luzimos de um para o outro
nas trevas.
Photomaton & Vox
Assírio & Alvim, Lisboa, 1979
Poème précédent en portugais :
Casimiro de Brito : Dimanche / Domingo (31/12/2020)
Marie-Noël (1883 – 1967) : « Quand il est entré dans mon logis clos... »
Chanson
Quand il est entré dans mon logis clos,
J’ourlais un drap lourd près de la fenêtre,
L’hiver dans les doigts, l’ombre sur le dos...
Sais-je depuis quand j’étais là sans être ?
Et je cousais, je cousais, je cousais...
— Mon cœur, qu’est-ce que tu faisais ?
Il m’a demandé des outils à nous.
Mes pieds ont couru, si vifs dans la salle,
Qu’ils semblaient, — si gais, si légers, si doux, —
Deux petits oiseaux caressant la dalle.
De-ci, de-là, j’allais, j’allais, j’allais...
— Mon cœur, qu’est-ce que tu voulais ?
Il m’a demandé du beurre, du pain,
— Ma main en l’ouvrant caressait la huche —
Du cidre nouveau, j’allais, et ma main
Caressait les bols, la table, la cruche.
Deux fois, dix fois, vingt fois je les touchais...
— Mon cœur, qu’est-ce que tu cherchais ?
Il m’a fait sur tout trente-six pourquoi
Jai parlé de tout, des poules, des chèvres,
Du froid et du chaud, des gens, et ma voix
En sortant de moi caressait mes lèvres...
Et je causais, je causais, je causais...
— Mon cœur, qu’est-ce que tu disais ?
Quand il est parti, pour finir l’ourlet
Que j’avais laissé, je me suis assise...
L’aiguille chantait, l’aiguille volait,
Mes doigts caressaient notre toile bise...
Et je cousais, je cousais, je cousais...
— Mon cœur, qu’est-ce que tu faisais ?
Les Chansons et les Heures
Sansot éditeur, 1920
De la même autrice :
Crépuscule (04/04/2015)
Retraite (04/04/2016)
« Les chansons que je fais… » (04/04/2017)
Attente (04/04/2018)
Connais-moi ... (04//04/2019)
Vision (04/04/2020)
André Velter (1945 -) : Vieux chaman
Photographie de Renaud Monfourny
Vieux chaman
Il y aurait à naître,
à naître avec les mots,
trouver l’autre corps de ce corps
et du souffle dans les os.
Il y aurait à n’être
qu’un battement d’aile
entre le cœur et les nerfs
pour se mettre en bouche
le chant de l’écorché.
Il y aurait à être
cette reprise du silence troué
quand le vertige vide l’écho
de ses propres murmures :
forceps, totem, sexe, plaie ouverte...
Qui est sorti à force ?
Qui lève ses interdits ?
Qui marque le désir ?
Qui finit par vivre
dans l’ombre de son cri ?
C’est la terre sous la peau
et il vient dans le sang
des migrations violentes.
Le verbe campe à l’infini,
spectre ou aimant qui attire
la pulpe et le squelette,
vieux chaman des limites
qui allie toutes les voix
à l’extase des pierres.
Ouvrir le chant
Le Castor Astral, 93500, Pantin / Ecrits des Forges, Trois-Rivières (Québec), 1994
Du même auteur :
Sur un thème de Walt Whitman (18/12/2014)
Ein grab in der luft (15/10/2017)
Planisphères (15/10/2018)
Ce n’est pas pour ce monde-ci (15/10/2019)
Farine d’orge et feuilles de laurier (15/10/2020)