Jaufre Rudel (1110/1130 – 1148/1170) : « Quand le ru de la fontaine... » / « Quan lo rius de la fontana... »
Quand le ru de la fontaine
S’éclaircit sous le soleil,
Quand vient la fleur églantine,
Qu’un rossignol sur la branche
Répète et toujours polit
Son tendre chant qu’il affine,
Le mien aussi ne dirai-je ?
Amour de terre lointaine,
Tout mon corps a mal de vous,
Du baume ne puis trouver
Qui de vous ne se réclame
Par l’attrait de douce amour,
Au verger, sous la courtine,
Avec la tant désirée.
Si toujours m’en manque l’aide,
Nul prodige en cette flamme,
Jamais plus belle ne fut,
Dieu non plus ne le voulut,
Même juive ou sarrazine,
Quelle manne le paya
Qui son amour approcha ?
Les désirs en moi demeurent
Pour la seule qu’au plus j’aime,
Mais quel voleur me dépouille
Si quelqu’autre la dérobe ?
Plus brûlante est que d’épine
La douleur que joie guérit,
Et encore ne m’en veux plaindre
Sans nul bref de parchemin,
Par Filleul j’envoie mes vers
Ecrits pour Hugues Le Brun
En claire langue romane,
Heureux que les Poitevins,
Gens du Berry, de Guyenne
Aient grand’joie jusqu’en Bretagne.
Traduit de l’occitan par Georges Ribemont-Dessaignes
In, « Les Troubadours »
Librairie de l’Université de Fribourg / Egloff, 1946
Quand le ru de la fontaine
S’éclaircit sous le soleil,
Quand vient la fleur églantine,
Le rossignol sur la branche
Module, polit et répète
Son tendre chant et l’affine,
Juste est que le mien reprenne.
Amour de terre lointaine,
Pour vous tout le corps me dol,
Et ne puis trouver remède,
Si de vous ne se réclame
Par l’attrait de doux amour,
Au verger, sous la courtine,
Avec désirée compagne.
Si toujours m’en manque l’aide,
Ne m’étonne si m’enflamme,
Car ja plus belle chrétienne,
Ne fut, Dien ne le voulut,
Ni juive ni sarrazine,
Bien est seul repu de manne
Qui un peu de s’amour gagne !
Les désirs en moi demeurent
Pour celle que le plus aime,
Crois que le voleur me dépouille
Si quelqu’autre la convoite ;
Car plus est brûlante qu’épine
La douleur que joie guérit,
Dont ja ne veux qu’on me plaigne.
Et sans bref de parchemin,
J’envoie ce Vers, que chantons
En claire langue romane,
A Hugues Le Brun par Filleul (*);
Heureux que gens de Poitou,
De Berry et de Guyenne
Aient grand’joie jusqu’en Bretagne.
(*) Filleul est le nom du jongleur
Adaptée de l’occitan par France Igly
In, « Troubadours et trouvères »
Seghers, 1960
Quand le ruisseau à la fontaine
s’éclaircit comme il arrive
et paraît la fleur églantine
et le rossignol sur la branche
répète et reprend et roule
son doux chan et l’affine
il est juste que je reprenne le mien
Amour de terre lointaine
pour vous mon cœur a mal
et je ne peux trouver médecin
si je n’entends votre appel
attiré par l’amour douce
dans un verger ou sous courtines
avec la compagne désirée
Puisque cela toujours me manque
je ne m’étonne pas d’être en flammes
car jamais plus noble chrétienne
ne fut et Dieu ne le veut pas
ni juive ni sarrazine
il est bien repu de manne
celui qui de son amour gagne
Mon cœur n’en finit pas de désir
vers celle que j’aime le plus
je crois que le désir me trompe
si la convoitise me l’enlève
elle est plus poignante qu’épine
la douleur que guérit la joie
je ne veux pas qu’on m’en plaigne
Sans lettre de parchemin
je transmets le vers que nous chantons
en clair langue romane
à Uc le Brin par Filhol
je suis heureux que les Poitevins
ceux du Berry et de Guyenne
soient heureux par lui et la Bretagne
Adapté de l’occitan par jacques Roubaud
in, « Les Troubadours. Anthologie bilingue »
Seghers éditeur, 1980
Du même auteur :
« Ne sait chanter qui ne dit rien... » / « No sap chantar qui so non di... » (22/10/2020)
« Lorsque les jours sont longs en mai... » / « Lanquan li jorn son lonc en may... (22/10/2022)
Quan lo rius de la fontana
s'esclarzis, si cum far sol,
e par la flors aiglentina,
e'l rossinholetz el ram
volf e refranh ez aplana
son dous chantar e l'afina,
dreitz es qu'ieu lo mieu refranha.
Amors de terra lonhdana,
Per vos totz lo cors mi dol;
e no'n puesc trobar mezina
si non au vostre reclam
ab atraich d'amor doussana
dinz vergier o sotz cortina
ab dezirada compahna.
Pus totz jorns m'en falh aizina,
no'm meravilh s'ieu n'aflam,
quar anc genser crestiana
non fo, ni Dieus non la vol,
juzeva ni sarrazina;
ben es selh pagutz de mana,
qui ren de s'amor ren guazanha!
De dezir mos cors no fina
vas selha res qu'ieu pus am;
e cre que volers m'enguana
si cobezeza la'm tol;
que pus es ponhens qu'espina
la dolors que ab joi sana,
don ja non vuelh qu'om m'en planha.
Senes breu de parguamina
tramet lo vers, que chantam
en plana lengua romana,
a'N'Hugo Bru per Filhol.
bo'm sap quar gens peitavina
de Berri e de Guiana
s'esgau per lui e Bretanha.
Poème précédent en occitan :
Guillaume d’Aquitaine : « Puisque j’ai le désir de chanter... » / Pos de chantar m’es pres talenz... » (19/09/2021)
Poème suivant en occitan :
Raimbaut de Vaqueyras : Fête de mai / Kalenda maia (24/10/2021)