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Le bar à poèmes
22 octobre 2021

Jaufre Rudel (1110/1130 – 1148/1170) : « Quand le ru de la fontaine... » / « Quan lo rius de la fontana... »

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Quand le ru de la fontaine

S’éclaircit sous le soleil,

Quand vient la fleur églantine,

Qu’un rossignol sur la branche

Répète et toujours polit

Son tendre chant qu’il affine,

Le mien aussi ne dirai-je ?

 

Amour de terre lointaine,

Tout mon corps a mal de vous,

Du baume ne puis trouver

Qui de vous ne se réclame

Par l’attrait de douce amour,

Au verger, sous la courtine,

Avec la tant désirée.

 

Si toujours m’en manque l’aide,

Nul prodige en cette flamme,

Jamais plus belle ne fut,

Dieu non plus ne le voulut,

Même juive ou sarrazine,

Quelle manne le paya

Qui son amour approcha ?

 

Les désirs en moi demeurent

Pour la seule qu’au plus j’aime,

Mais quel voleur me dépouille

Si quelqu’autre la dérobe ?

Plus brûlante est que d’épine

La douleur que joie guérit,

Et encore ne m’en veux plaindre

 

Sans nul bref de parchemin,

Par Filleul j’envoie mes vers

Ecrits pour Hugues Le Brun

En claire langue romane,

Heureux que les Poitevins,

Gens du Berry,  de Guyenne

Aient grand’joie jusqu’en Bretagne.

 

Traduit de l’occitan par Georges Ribemont-Dessaignes

In, « Les Troubadours »

Librairie de l’Université de Fribourg / Egloff, 1946

 

Quand le ru de la fontaine

S’éclaircit sous le soleil,

Quand vient la fleur églantine,

Le rossignol sur la branche

Module, polit et répète

Son tendre chant et l’affine,

Juste est que le mien reprenne.

 

Amour de terre lointaine,

Pour vous tout le corps me dol,

Et ne puis trouver remède,

Si de vous ne se réclame

Par l’attrait de doux amour,

Au verger, sous la courtine,

Avec désirée compagne.

 

Si toujours m’en manque l’aide,

Ne m’étonne si m’enflamme,

Car ja plus belle chrétienne,

Ne fut, Dien ne le voulut,

Ni juive ni sarrazine,

Bien est seul repu de manne

Qui un peu de s’amour gagne !

 

Les désirs en moi demeurent

Pour celle que le plus aime,

Crois que le voleur me dépouille

Si quelqu’autre la convoite ;

Car plus est brûlante qu’épine

La douleur que joie guérit,

Dont ja ne veux qu’on me plaigne.

 

Et sans bref de parchemin,

J’envoie ce Vers, que chantons

En claire langue romane,

A Hugues Le Brun par Filleul (*);

Heureux que gens de Poitou,

De Berry et de Guyenne

Aient grand’joie jusqu’en Bretagne.

 

(*)  Filleul est le nom du jongleur

 

Adaptée de l’occitan par France Igly

In, « Troubadours et trouvères »

Seghers, 1960    

 

Quand le ruisseau à la fontaine

s’éclaircit comme il arrive

et paraît la fleur églantine

 et le rossignol sur la branche

répète et reprend et roule

son doux chan et l’affine

il est juste que je reprenne le mien

 

Amour de terre lointaine

pour vous mon cœur a mal

et je ne peux trouver médecin

si je n’entends votre appel

attiré par l’amour douce

 dans un verger ou sous courtines

avec la compagne désirée

 

Puisque cela toujours me manque

je ne m’étonne pas d’être en flammes

car jamais plus noble chrétienne

ne fut et Dieu ne le veut pas

ni juive ni sarrazine

il est bien repu de manne

celui qui de son amour gagne

 

Mon cœur n’en finit pas de désir

vers celle que j’aime le plus

je crois que le désir me trompe

si la convoitise me l’enlève

elle est plus poignante qu’épine

la douleur que guérit la joie

je ne veux pas qu’on m’en plaigne

 

Sans lettre de parchemin

je transmets le vers que nous chantons

en clair langue romane

à Uc le Brin par Filhol

je suis heureux que les Poitevins

ceux du Berry et de Guyenne

soient heureux par lui et la Bretagne

 

Adapté de l’occitan par jacques Roubaud

in, « Les Troubadours. Anthologie bilingue »

Seghers éditeur, 1980

Du même auteur :

« Ne sait chanter qui ne dit rien... » / « No sap chantar qui so non di... » (22/10/2020)

« Lorsque les jours sont longs en mai... » / « Lanquan li jorn son lonc en may...  (22/10/2022)

 

Quan lo rius de la fontana                       

s'esclarzis, si cum far sol,

 e par la flors aiglentina,

e'l rossinholetz el ram

volf e refranh ez aplana

son dous chantar e l'afina,

dreitz es qu'ieu lo mieu refranha.

 

Amors de terra lonhdana,

Per vos totz lo cors mi dol;

e no'n puesc trobar mezina

si non au vostre reclam

ab atraich d'amor doussana

dinz vergier o sotz cortina

ab dezirada compahna.

 

Pus totz jorns m'en falh aizina,

no'm meravilh s'ieu n'aflam,

quar anc genser crestiana

non fo, ni Dieus non la vol,

juzeva ni sarrazina;

ben es selh pagutz de mana,

qui ren de s'amor ren guazanha!

 

De dezir mos cors no fina

vas selha res qu'ieu pus am;

e cre que volers m'enguana

si cobezeza la'm tol;

que pus es ponhens qu'espina

la dolors que ab joi sana,

don ja non vuelh qu'om m'en planha.

 

Senes breu de parguamina

tramet lo vers, que chantam

en plana lengua romana,

a'N'Hugo Bru per Filhol.

bo'm sap quar gens peitavina

de Berri e de Guiana

s'esgau per lui e Bretanha.

 

Poème précédent en occitan :

Guillaume d’Aquitaine : « Puisque j’ai le désir de chanter... » / Pos de chantar m’es pres talenz... » (19/09/2021)

Poème suivant en occitan :

Raimbaut de Vaqueyras  : Fête de mai / Kalenda maia (24/10/2021)

 

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