Edmond Humeau (1907 -1998) : L’Auberdière explose
L’Auberdière explose
Enfonçons-nous dans l’épaisseur de ce qui n’aura point de nomination.
Tant que le jour sera donné aux lisières de la forêt domaniale
Par grand hiver débordant des feutres de neige qui durcissent l’horizon
Et voilà que la terre se prend à nouveau de convulsions glaciaires
Les gerçures éclatent aux plissements de l’écorce gélive des roches
Les fractures s’ensuivent déchirant l’appareil des blocs qui se froissent
en poussière
Comme il advient quand les charges de dynamite éboulent une pulvérulente
caillasse
Cette poussière même accomplie au matin qui bleuit l’éclat des schistes
En un pays soulevé par le craquement du gel dont les herbages se givrent
Quand l’abricot du soleil mûrit sur les remblais gris de la brume
Un air souverainement léger monte à la rencontre du château de
l’Auberdière
Cela part depuis les hauteurs de Chandelais dont s’illumine le massif des
chênes rouvres
Je m’en vais assembler les arceaux de leurs voûtes poudreuses aux jonchées
de feuilles beiges
Pour que resplendisse une nef de cathédrale élancée entre les fûts sous le
branchage sec
Juste alors qu’elle disparaît mon enfance buissonnière comme un lièvre
bondit
Du terrier impossible aux touffes de bruyère qui me ramènent aux violettes
espérées
Mais je ne sais plus quand elles m’apparurent aussi sucrement parfumées
Aujourd’hui que l’odeur des violettes me revient avec l’aube de l’enfance
qui m’échappe
La migration commence d’une odeur à son goût de mémoire qu’elle abolit
Comme si je n’avais assez longtemps erré depuis ce parfum qui me
chiffonnait
Il est dit que l’homme n’entre jamais trop loin dans ses dominations
singulières
Toujours passeurs d’odeurs qui se répètent en auréoles d’autant plus
vaines qu’elles insistent.
Homme écourté par les frondaisons de sa vie qui s’acharne à demeurer
spongieuse
Homme des fougères et de la rousseur qui blanchit à l’âge des flammes
Mais qui donc ira bêcher l’espace de tourbe où le nénuphar s’allie à
la flétrissure des roseaux
Puisque je m’éveille en ce lieu qui fume si noirement que j’y noyai mon
âme
A franchir les taillis de coudriers et de frênes qui défendaient la route
d’ombre
Où s’enfuient les courriers annonceurs de l’incendie déclaré au château
Les flammes ont léché longtemps les boiseries avant que le brasier
prenne de l’ampleur
Et maintenant l’Auberdière explose en gerboyant d’étincelles roses qui
retombent en suie
Sur les hautes langues de safran que j’aime à saluer pour l’illumination
savoureuse
De la chère nuit calcinée que balafrent les blessures scintillantes du feu
Dans les corolles pourpres des tulipes qui virent au lilas et au fuchsia
d’un beau soir
Eclairant la forêt qui m’effraie quand l’incendie va naître du peuple des
feuilles et de l’aubier généreux
Je suis de ceux qui flambent sur la poussière des os entassés par la planète
et j’appelle au feu
les prisonniers des invasions que charrie l’âcre fleuve de la succession
bourgeoise
Les migrants d’un siècle phosphoreux qui se voue à l’éclat des fusées
Depuis le champignon des fusées génocides qui brasilla dans le fracas
nucléaire
Coulant comme le château de l’Auberdière s’affaisse sur la poudre des
villes émiettées
Voici que le chant des incendiaires se dépose aux fondations et j’entends
chasser
Les cendres fluorescentes de la nuit qui dérivent en vaisseaux de braise
qu’un brin de paille allume
Au désespoir de l’enfant incendiaire que je fus et je n’ai point renié les
visions de l’univers flamboyant
In, Revue « La Tour de Feu, N° 82, Juin 1964
16200 Jarnac, 1964
Du même auteur :
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