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Le bar à poèmes
18 avril 2015

Edmond Humeau (1907 - 1998) : Pavane de l’autre nature

 

18[1]

 

Pavane de l’autre nature

 

Aux paroles qui reviennent de l’herbe

Avec des globes de rosée scintillants

D’herbe fraîche à la veine pâture

Comme l’odeur du foin au petit jour

Toute la verdure passée en paroles

Fanés à coups de fourche qui l’égaillent

Sur le revers où la sauge raidit

Dans la sécheresse aux faces d’épreuve

Je demande aujourd’hui de m’accueillir

 

Aux paroles qui vont sur le feu

Bouillir parmi les viandes à sauce

Dans la marmite aux sorcières fétides

Par la riche confusion des langues

Sous le feu des mots partis en fumée

Avec les bas morceaux de la tripaille

A tous sarments, fagots, rondins et bûches

Pour le fumet des pièces savoureuses

Je demande uniquement de flamber

 

Aux paroles qui font de l’ombre

Dans le plein du jour qu’elles tamisent

Pour la fièvre accordée aux amants

Lourdes paroles foncées des adieux

Belles d’un secret qu’elles enrobent

Dans le moite et féroce affrontement

De la lumière douce en sa crudité

Pae les deux mains que l’ombre a câliné

Je demande mes raisons d’exister

 

Aux paroles que me souffle le vent

Par le panache fleuri des roseaux

Qui frémissent comme au temps de Midas

Ou les entends-tu trembler de Pascal

Car le vent aura toujours des oracles

Pour ceux-là qui viendront interroger

L’ample cœur d’une nature étrangère

Aux destins des paroles qui se perdent

Je demande l’asile d’une mémoire

 

Aux paroles qui prennent le soleil

De très haute figure qui les cuit

Avec toutes les herbes souhaitées

Rissolante image d’une tornade

Qui plonge au bain de l’effusion sacrée

Avec le fracas des soies arrachées

Les paroles jaunes comme des cailles

Abattues au vol suprême d’Icare

Je demande la  grâce d’ensoleiller

 

Aux paroles que je reçois de l’eau

La douceur exige qu’elles  trempent

Dans les grandes fontaines murmurantes

Ou bien qu’elles se coulent sur mon bras

Comme le fleuve d’une terre aimée

Dans l’esprit des paroles divisées

D’avec le monde désert des passions

Que soulève l’irruption de la grâce

Je demande l’appui d’être soluble

 

Aux paroles tombées en poussière

Avec la ruine des siècles mangés

Par l’histoire à décliner les empires

Et rendre une justice ironique

Aux amours des bergères et des preux

Pour que leur chanson nous vienne en sabots

Secouant les paroles de poussière

Pour éclater de rire aux dialectiques

Je demande seulement qu’elles crèvent

 

Aux paroles qui coulent des nuages

En promenade aux baraques du ciel

Qu’on visite  à la faveur des élans

Maniés par de grands diables d’archanges

Forains établis dessus la planète

Qui gravite en sa course leurs manèges

Ces paroles sont farine du cirque

Monté par hautes juments vaporeuses

Je demande d’ébranler le système

 

Aux paroles qui montent de la terre

Assoiffées par la récrimination

Tout aussi juste que prunes cueillies

Les paroles à goût de terre éteinte

Prennent aussi vite le frais du soir

Sur les pas des portes où sont assis

Les donneurs de conseils aux voyageurs

Qui s’en retirent comme d’Emmaüs

Je demande le respect de la terre

 

Aux paroles écoutées dans les arbres

Si c’est un figuier on peut les secouer

Un chêne il n’y faut point y porter la main

Des frênes tant que vous voudrez les voir

Attention si c’est un mûrier qui parle

Mais des sapins ou de gros églantiers

Peuvent vous donner des visions fondées

Comme tant d’arbres que nous estimons

Je demande à faire parler les arbres

 

Aux paroles qui sautent sur les pierres

Comme autant de truites sous la cascade

Remontent à la source du torrent

Les jets de paroles drues nous empêtrent

Pour peu que nous détachions des rochers

Un éboulis de langage avancé

Mais faites donc comme Miatlev

Les cailloux d’une l’alliance avec l’homme

Je demande à suivre l’inversité

 

Aux paroles que pressentent les bêtes

Accordons au moins notre frénésie

Un cou de cheval allonge un peu d’âme

Une peau de chat grésille d’ennui

La tête d’un chien vous répondra vite

Faut-il aussi vous approcher des lions

Pour qu’à leurs pattes vous entendiez vivre

La métamorphose des dieux bénins

Je demande que nous les écoutions

 

Aux paroles détachées de la nuit

Dont le troupeau vacille entre les crêtes

Je n’entends point retirer leur prestige

Que les inspirés leur concédèrent

Les arrêts des souverains messagers

Ils m’arrivent de l’exquise obscurité

Au grès de l’autre nature embrasée

Comme une mine de paroles sublimes

Je demande  à manifester les nuits

 

Aux paroles enflammées des oiseaux

Les scies d’un vaste atelier affûtées

N’apporterons jamais une réponse

Aussi prompte qu’un fulgurant concert

A la pointe de l’aurore organisé

Par les buissons de moineaux et de grives

Sans oublier l’assaut mené des bouvreuils

Sous la règle solitaire du merle

Je demande que les oiseaux paraissent

 

Toute parole épuisant ses reflets

Le consentement me semble excessif

Comme la récrimination osée

Aux paroles pour se faire plaisir

Mais j’appelle à signifier un accord

Aux paroles qui dévorent le sens

De l’autre nature aidée en ses refuges

Comme d’aucuns ont espéré du ciel

Dans les siècles nourris d’allégories

Oraison, 1er août 1955

 

Le tambourinaire des sources

Guy Chambelland / Librairie Saint-Germain-des-Prés éditeurs,

(Poésie-Club), 1970

 

Du même auteur :  

L’Auberdière explose (18/04/2017)

 

Prière pour délier les sources d’oraison (25/12/2018)

 

 

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