Vapeur
Nous vivons dans un rêve,
la mort nous éveille.
Purs, impalpables
habitants d’un triste
royaume sans concession.
Yeux secs, absents,
corps nus abîmés,
paupières sans repos,
les bouches édentées.
Nous sommes sans repos.
Nous errons dans l’ombre,
sous un ciel sans astres.
Esprits violets
dans une attente futile,
nous sommes les rejetés,
les sans voix, les insomniaques.
Nous nous déplaçons en cercles
dans les plaines nues
d’une terre sans larmes,
terre sans mémoire,
noir pays d’épines.
Comme le vent acharné
sur l’herbe sèche,
comme l’eau qui rebondit
dans l’égout trouble,
nous inquiétons tes rêves.
Nous sommes les désincarnées
âmes sans son
toujours absentes, errantes.
Revenant sans fin
nous existons seulement
dans une vanité du temps.
Os, cendres : poussière
soulevée dans la poussière,
un peu moins que l’air,
beaucoup moins que rien.
Bosses informes, ombres
sans couleur, corps vides
sans sens et sans écho.
Nous venons avec la pluie
de doigts difformes,
comme une brise obstinée,
comme une insinuation.
Nous sommes le brouillard stérile,
le vent entre les arbres.
Nous habitons un creux
dans le creux du temps.
Terres défoncées,
yeux pleins de terre,
les mains suppliantes.
Désespérés, nous apportons
la méfiance, la peur.
Comme des nuages flottant
sur une étang livide
nous voyageons dans ton sang :
grumeaux, air : terrain en friche
dans un vague royaume.
Brisés pères accablés
sans ardeur et sans musique
nous nous déplaçons en cercles,
silencieux, exigus.
Nous sommes ta descendance :
l’essence et l’expérience
la mort à venir !
Nous nous déplaçons en cercles.
Rustres, maladroits, sombres,
aridité, air nul.
Nous sommes l’aigre mémoire
que les souvenirs annulent.
Douloureux, impalpables
habitants d’un triste royaume
sans concession…
Traduit de l’espagnol par Claude Beausoleil
In, « Un siècle de poésie mexicaine. Anthologie »
Editions Ecrits des Forges / Le Castor Astral, 1989 et 2009