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Le bar à poèmes
30 janvier 2024

Gaston Miron (1928 – 1996) : « Chaque jour je m’enfonce... »

s3074[1]

 

Chaque jour je m’enfonce dans ton corps

et le soleil vient bruire dans mes veines

mes bras enlacent ta nudité sans rivages

où je déferle pareil à l’espace sans bords

 

sur les pentes d’un combat devenu total

au milieu de la plus quotidienne obscurité

je pense à toi tel qu’au jour de ma mort

chaque jour tu es ma seule voie céleste

 

malgré l’érosion des peines tourmenteuses

je parviens à hisser mon courage faillible

je parviens au pays lumineux de mon être

que je t’offre avec le goût d’un cours nouveau

 

amour, sauvage amour  de mon sang dans l’ombre

mouvant visage du vent dans les broussailles

femme, il me faut t’aimer femme de mon âge

comme le temps précieux et blond du sablier

 

 

 

Quand je te retrouve après les camarades

le monde est agrandi de nos espoirs de nos paroles

et de nos actions prochaines dans la lutte

c’est alors de t’émouvoir que je suis enhardi

avec l’intensité des adieux désormais dénoués

er de l’aube recommencée sur l’autre versant

lorsque dans nos corps et autour

lorsque dans nos pensées emmêlées

lentement de sondes lentement de salive solaire

jonchés de flores caressés de bêtes brûlantes

secoués de fulgurants déplacements de galaxies

où des satellites balisent demain de plus de dieux

ainsi de te prendre dans le tumulte et l’immensité

lucide avec effervescence

tu me hâtes en toi consumant le manège du désir

et lors de l’incoercible rafale fabuleuse

du milieu de nous confondus sans confins

se lèvent et nous soulèvent

l’empan et le faîte de l’étreinte plus pressante

que la fatalité

noueuse et déliée, chair et verbe, espace

que nous formons largués l’un dans l’autre

 

 

 

Parle-moi parle-moi de toi parle-moi de nous

j’ai le dos large je t’emporterai dans mes bras

j’ai compris beaucoup de choses dans cette époque

les visages et les chagrins dans l’éloignement

la peur et l’angoisse et les périls de l’esprit

je te parlerai de nous de moi  des camarades

et tu m’emporteras comblée dans le don de toi

 

jusque dans le bas-côté des choses

dans l’ombre la plus perdue à la frange

dans l’ordinaire rumeur de nos pas à pas

lorsque je rage butor de mauvaise foi

lorsque ton silence me cravache farouche

dans de grandes lévitations de bonheur

et dans quelques grandes déchirures

ainsi sommes-nous un couple

toi s’échappant de moi

moi s’échappant de toi

pour à nouveau nous confondre d’attirance

ainsi nous sommes ce couple ininterrompu

tour à tour désassemblé et réuni à jamais

 

 

 

 

Frêle frileuse femme qui vas difficilement

(son absence te fait mal en creux dans ton ventre)

d’un effort à l’autre et dans l’espérance diffuse

tiens debout en vie aux souffles des nécessités

 

diaphane fragile femme belle toujours d’une flamme

de bougie, toi aussi tu as su, tes yeux s’effarent

(l’humidité de l’ennui, ta fraîcheur qui s’écaille)

patiente amoureuse femme qui languis de cet homme

 

mince courageuse femme qui voiles ton angoisse

(tu oublies ses rencontres, ses liens clandestins)

sans toujours le vouloir il te mêle à sa souffrance

ce monde qui nous entoure auquel ses bras se donnent

 

la justice est-il écrit est l’espoir de l’homme

(il se mépriserait lui-même du mépris qu’on lui porte)

elle pense :  c’est en toi qu’est ancrée ma présence

il pense : c’est par elle unanime que je possède ma vie

 

 

 

Ce que la mer chante à des mille d’ici

la force de ton ventre, le besoin absolu

de m’ériger en toi

voici que mes bras de mâle amour s’ébranlent

pour les confondre en une seule étendue

 

ce que la terre dans l’alchimie de ses règnes

abandonne et transmue en noueuses genèses

de même je l’accomplis en homme concret

dans l’arborescence de l’espèce humaine

et le destin qui me lie à toi et aux nôtres

 

si j’étais mort avant de te connaître

ma vie n’aurait jamais été que fil rompu

pour la mémoire et pour la trace

je n’aurais rien su de mon corps d’après la mort

ni des grands fonds de la durée

rien de la tendresse au long cours de tes gestes

cette vie notre éternité qui traverse la mort

 

et je n’en finis pas d’écouter les mondes

au long de tes hanches.

 

(L’amour et le militant)

 

 

L’homme rapaillé,

Editions Typo, Montréal,1998

Du même auteur :

La marche à l’amour (30/08/2014)

Les siècles de l’hiver (30/08/2015)

Monologues de l'aliénation délirante (30/08/2016)

Ma femme sans fin (07/08/2018)

Poème de séparation 1, 2 (30/01/2021)

Pour retrouver le monde et l’amour (30/01/2022)

Compagnon des Amériques (30/01/2023)

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