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Le bar à poèmes
20 juin 2023

Fernando Pessoa (1888 – 1935) : Poèmes désassemblés (II) / Poemas Inconjuntos (II)

pt122250Statue en bronze de Pessoa par Lagoa Henriques, à la terrasse du café  "A Brasileira", Lisbonne

 

Poèmes désassemblés (II)

 

................................................................

L’effarante réalité des choses

est ma découverte de tous les jours.

Chaque chose est ce qu’elle est,

et il est difficile d’expliquer combien cela me réjouit

et combien cela me suffit.

 

Il suffit d’exister pour être complet.

 

J’ai écrit bon nombre de poèmes.

J’en écrirai bien plus, naturellement.

Cela, chacun de mes poèmes le dit,

et tous mes poèmes sont différents,

parce que chaque chose au monde est une manière de le proclamer.

 

Parfois je me mets à regarder une pierre.

Je ne me mets pas à penser si elle sent.

Je ne me perds pas à l’appeler ma sœur

mais je l’aime parce qu’elle est une pierre,

je l’aime parce qu’elle n’éprouve rien,

je l’aime parce qu’elle n’a aucune parenté avec moi.

 

D’autres fois j’entends passer le vent,

Et je trouve que rien que pour entendre passer le vent, il vaut la peine d’être né,

Je ne sais ce que penseront les autres en lisant ceci ;

mais je trouve que ce doit être bien puisque je le pense sans effort,

et sans concevoir qu’il y ait des étrangers pour m’entendre penser :

parce que je pense hors de toute pensée,

parce que je le dis comme le disent mes paroles.

 

Une fois on m’a appelé poète matérialiste,

et je m’en émerveillais, parce que je n’imaginais pas

qu’on pût me donner un nom quelconque.

Je ne suis même pas poète : je vois.

Si ce que j’écris a une valeur, ce n’est pas moi qui l’ai :

la valeur se trouve là, dans mes vers.

Tout cela est absolument indépendant de ma volonté.

 

 

 

Lorsque reviendra le printemps

peut-être ne me trouvera-t-il plus en ce monde.

J’aimerais maintenant pouvoir croire que le printemps est un être humain

afin de pouvoir supposer qu’il pleurerait

en voyant qu’il a perdu son unique ami.

Mais le printemps n’est même pas une chose : c’est une façon de parler.

Ni les fleurs ne reviennent, ni les feuilles vertes.

Il y a de nouvelles fleurs, de nouvelles feuilles vertes. 

Il y a d’autres jours suaves.

Rien ne revient, rien ne se répète, parce que tout est réel.

 

 

 

Si je meurs jeune,

sans pouvoir publier un seul livre,

sans voir l’allure de mes vers noir sur blanc,

je prie, au cas où l’on voudrait s’affliger sur mon compte,

qu’on ne s’afflige pas.

S’il en est ainsi advenu, c’était justice.

 

Même si mes vers ne sont jamais imprimés,

ils auront leur beauté, s’ils sont vraiment beaux.

Mais en fait ils ne peuvent à la fois être beaux et rester inédits,

car les racines peuvent bien être sous la terre,

mais les fleurs fleurissent à l’air libre et à vue.

Il doit en être ainsi forcément ; nul ne peut l’empêcher.

 

Si je meurs très jeune, écoutez ceci :

je ne fus jamais qu’un enfant qui jouait.

Je fus idolâtre comme le soleil et l’eau

d’une religion ignorée des seuls humains.

Je fus heureux parce que je ne demandai rien,

non plus que je ne me livrai à aucune recherche ;

de plus je ne trouvai qu’il y eût d’autre explication

que le fait pour le mot explication d’être privé de tout sens.

 

Je ne désirai que rester au soleil et à la pluie –

au soleil quand il faisait soleil

et à la pluie quand il pleuvait

(mais jamais l’inverse),

sentir la chaleur et le froid et le vent,

et ne pas aller plus outre.

 

Une fois j’aimai, et je crus qu’on m’aimerait,

mais je ne fus pas aimé.

Je ne fus pas aimé pour l’unique et grande raison

que cela ne devait pas être.

 

Je me consolai en retournant au soleil et à la pluie

et en m’asseyant de nouveau à la porte de ma maison.

Les champs, tout bien compté, ne sont pas aussi verts pour ceux qui sont aimés

que pour ceux qui ne le sont pas.

Sentir, c’est être inattentif.

 

 

 

Lorsque viendra le printemps,

si je suis déjà mort,

les fleurs fleuriront de la même manière

et les arbres ne seront pas moins verts qu’au printemps passé.

La réalité n’a pas besoin de moi.

 

J’éprouve une joie énorme

à la pensée que ma mort n’a aucune importance.

 

Si je savais que demain je dois mourir

et que le printemps est pour après-demain,

je serais content de ce qu’il soit pour après-demain.

Si c’est là son temps quand viendrait-il sinon en son temps ?

J’aime que tout soit réel et que tout soit précis ;

et je l’aime parce qu’il en serait ainsi, même si je ne l’aimais pas.

C’est pourquoi, si je meurs sur-le-champ, je meurs content,

parce que tout est réel et tout est précis.

 

On peut, si l’on veut, prier en latin sur mon cercueil.

On peut, si l’on veut, danser et chanter tout autour

Je n’ai pas de préférence pour un temps où je pourrai plus avoir de préférences.

Ce qui sera, quand cela sera, c’est cela qui sera ce qui est.

 

 

 

Si, lorsque je serai mort, on veut écrire ma biographie, il n’y a rien de plus simple.

Elle n’a que deux dates – celle de ma naissance et celle de ma mort

entre une chose et l’autre tous les jours sont à moi.

 

Je suis facile à définir.

J’ai vu comme un damné.

J’ai aimé les choses sans aucune sentimentalité.

Jamais je n’eus un désir que je ne pusse réaliser, parce que jamais je ne m’aveuglai.

Le fait d’entendre lui-même ne fut jamais chez moi que l’accompagnement du fait

     de voir.

J’ai compris que les choses sont réelles et toutes différentes les unes des autres ;

j’ai compris cela avec les yeux, jamais avec la pensée.

Comprendre cela avec la pensée, ce serait les trouver toutes semblables.

 

Un jour m’a donné le sommeil comme à n’importe quel enfant.

Je fermai les yeux et dormis.

En dehors de cela, je fus l’unique poète de la Nature.

 

 

 

Il fait nuit. Très sombre est la nuit. Dans une maison à une grande distance

brille la lumière d’une fenêtre.

Je la vois, et je me sens humain des pieds à la tête.

Il est curieux que toute la vie de l’individu qui habite là, et dont j’ignore l’identité,

ne m’attire que par cette lumière vue de loin.

Sans nul doute sa vie est réelle, il a un visage, des gestes, une famille et un métier.

 

Mais maintenant seule m’importe la lumière de sa fenêtre.

Bien que la lumière soit là parce qu’il l’a allumée,

la lumière est pour moi une réalité immédiate.

Je ne vais jamais au-delà de la réalité immédiate.

Au-delà de la réalité immédiate il n’y a rien.

Si moi, de l’endroit où je suis, je ne vois que cette lumière,

par rapport à la distance où je me tiens il n’est que cette lumière.

L’homme et sa famille sont réels de l’autre côté de la fenêtre.

Et je me trouve de ce côté-ci, à une grande distance.

La lumière s’est éteinte.

Que m’importe que l’homme continue à exister ?

 

 

 

Je n’arrive pas à comprendre comment on peut trouver triste un couchant.

A moins que ce soit parce qu’un couchant n’est pas une aurore.

Mais s’il est un couchant, comment pourrait-il bien être une aurore ?

 

 

 

Un jour de pluie est aussi beau qu’un jour de soleil,

ils existent tous deux, chacun à sa façon.

 

 

 

Lorsque l’herbe poussera au-dessus de ma tombe,

que ce soit là le signal pour qu’on m’oublie tout à fait.

La Nature jamais ne se souvient, et c’est par là qu’elle est belle.

Et si l’on éprouve le besoin maladif d’« interpréter » l’herbe verte sur ma tombe,

qu’on dise que je continue à verdoyer et à être naturel.

 

J’accepte les destinées de la vie parce qu’elles sont le destin,

comme j’accepte le froid excessif au plus fort de l’hiver –

calmement, sans me plaindre, en homme qui accepte purement et simplement

et qui trouve sa joie dans le fait d’accepter –

dans le fait sublimement scientifique et difficile d’accepter le naturel inévitable.

 

Que sont pour moi les maladies que j’ai et le mal qui m’advient,

d’autre que l’hiver de ma personne et de ma vie ?

L’hiver irrégulier, du rythme duquel les lois me sont inconnues,

mais qui existe pour moi en vertu de la même sublime fatalité,

de la même inévitable extériorité par rapport à ma personne,

que la chaleur de la terre au plus fort de l’été

et que le froid de la terre au coeur de l’hiver.

 

J’accepte par personnalité.

Je suis né sujet comme les autres à l’erreur et aux défauts,

mais jamais à l’erreur de vouloir trop comprendre,

jamais à l’erreur de vouloir comprendre avec la seule intelligence,

jamais au défaut d’exiger du Monde

qu’il soit quelque chose qui ne soit pas le Monde.

 

 

Traduit du portugais par Armand Guibert

In , «Fernando Pessoa : Le gardeur de troupeau et les autres poèmes

d’Alberto Caeiro »

Editions Gallimard, 1960

Du même auteur :

« A la veille de ne jamais partir... » / Na véspera de não partir nunca  (20/06/2014)

 Ajournement / Adiamento (20/06/2015)

Passage des heures / Passagem das horas (20/06/2016)

Le Gardeur de troupeaux /O Guardador de rebanhos ((I-X) (20/06/2017)

« Lorsque viendra le printemps... / « Quando vier a Primavera... »  (20/06/2018)

Le Gardeur de troupeaux /O Guardador de rebanhos (XI-XXX ) (20/06/2019)

Le Gardeur de troupeaux /O Guardador de rebanhos (XXXI - XLIX) (20/06/2020)

Le pasteur amoureux / O pastor amoroso (20/06/2021)

Poèmes désassemblés (I) / Poemas Inconjuntos (I) (20/06/2022)

 

Poemas Inconjuntos (II)

 

A espantosa realidade das coisas

É a minha descoberta de todos os dias.

Cada coisa é o que é,

E é difícil explicar a alguém quanto isso me alegra,

E quanto isso me basta.

Basta existir para se ser completo.

Tenho escrito bastantes poemas.

Hei-de escrever muitos mais, naturalmente.

Cada poema meu diz isto,

E todos os meus poemas são diferentes,

Porque cada coisa que há é uma maneira de dizer isto.

Às vezes ponho-me a olhar para uma pedra.

Não me ponho a pensar se ela sente.

Não me perco a chamar-lhe minha irmã.

Mas gosto dela por ela ser uma pedra,

Gosto dela porque ela não sente nada,

Gosto dela porque ela não tem parentesco nenhum comigo.

Outras vezes oiço passar o vento,

E acho que só para ouvir passar o vento vale a pena ter nascido.

Eu não sei o que é que os outros pensarão lendo isto;

Mas acho que isto deve estar bem porque o penso sem esforço,

Nem ideia de outras pessoas a ouvir-me pensar;

Porque o penso sem pensamentos,

Porque o digo como as minhas palavras o dizem.

Uma vez chamaram-me poeta materialista,

E eu admirei-me, porque não julgava

Que se me pudesse chamar qualquer coisa.

Eu nem sequer sou poeta: vejo.

Se o que escrevo tem valor, não sou eu que o tenho:

O valor está ali, nos meus versos.

Tudo isso é absolutamente independente da minha vontade.

 

 

 

Quando tornar a vir a Primavera

Talvez já não me encontre no mundo.

Gostava agora de poder julgar que a Primavera é gente

Para poder supor que ela choraria,

Vendo que perdera o seu único amigo.

Mas a Primavera nem sequer é uma cousa:

É uma maneira de dizer.

Nem mesmo as flores tornam, ou as folhas verdes.

Há novas flores, novas folhas verdes.

Há outros dias suaves.

Nada torna, nada se repete, porque tudo é real.

 

 

 

Se eu morrer novo,

sem poder publicar livro nenhum

Sem ver a cara que têm os meus versos em letra impressa,

Peço que, se se quiserem ralar por minha causa,

Que não se ralem.

Se assim aconteceu, assim está certo.



Mesmo que os meus versos nunca sejam impressos,

Eles lá terão a sua beleza, se forem belos.

Mas eles não podem ser belos e ficar por imprimir,

Porque as raízes podem estar debaixo da terra

Mas as flores florescem ao ar livre e à vista.

Tem que ser assim por força. Nada o pode impedir. 



Se eu morrer muito novo, oiçam isto:

Nunca fui senão uma criança que brincava.

Fui gentio como o sol e a água,

De uma religião universal que só os homens não têm.

Fui feliz porque não pedi cousa nenhuma,

Nem procurei achar nada,

Nem achei que houvesse mais explicação

Que a palavra explicação não ter sentido nenhum.



Não desejei senão estar ao sol ou à chuva –

Ao sol quando havia sol

E à chuva quando estava chovendo

(E nunca a outra cousa),

Sentir calor e frio e vento,

E não ir mais longe. 



Uma vez amei, julguei que me amariam,

Mas não fui amado.

Não fui amado pela unica grande razão –

Porque não tinha que ser. 



Consolei-me voltando ao sol e a chuva,

E sentando-me outra vez a porta de casa.

Os campos, afinal, não são tão verdes para os que são amados

Como para os que o não são.

Sentir é estar distraido.

 

 

 

 

Quando vier a Primavera,

Se eu já estiver morto,

As flores florirão da mesma maneira

E as árvores não serão menos verdes que na Primavera passada.

A realidade não precisa de mim.



Sinto uma alegria enorme

Ao pensar que a minha morte não tem importância nenhuma.



Se soubesse que amanhã morria

E a Primavera era depois de amanhã,

Morreria contente, porque ela era depois de amanhã.

Se esse é o seu tempo, quando havia ela de vir senão no seu tempo?

Gosto que tudo seja real e que tudo esteja certo;

E gosto porque assim seria, mesmo que eu não gostasse.

Por isso, se morrer agora, morro contente,

Porque tudo é real e tudo está certo.

 



Podem rezar latim sobre o meu caixão, se quiserem.

Se quiserem, podem dançar e cantar à roda dele.

Não tenho preferências para quando já não puder ter preferências.

O que for, quando for, é que será o que é.

 

 

 

Se, depois de eu morrer, quiserem escrever a minha biografia,

Não há nada mais simples.

Tem só duas datas—a da minha nascença e a da minha morte.

Entre uma e outra coisa todos os dias são meus.

 

Sou fácil de definir.

Vi como um danado.

Amei as coisas sem sentimentalidade nenhuma.

Nunca tive um desejo que não pudesse realizar, porque nunca ceguei.

Mesmo ouvir nunca foi para mim senão um acompanhamento de ver.

Compreendi que as coisas são reais e todas diferentes umas das outras;

Compreendi isto com os olhos, nunca com o pensamento.

Compreender isto com o pensamento seria achá-las todas iguais.

Um dia deu-me o sono como a qualquer criança.

Fechei os olhos e dormi.

Além disso, fui o único poeta da Natureza.

 

 

 

É noite. A noite é muito escura. Numa casa a uma grande distância

Brilha a luz duma janela.

Vejo-a, e sinto-me humano dos pés à cabeça.

É curioso que toda a vida do indivíduo que ali mora, e que não sei quem é,

Atrai-me só por essa luz vista de longe.

Sem dúvida que a vida dele é real e ele tem cara, gestos, família e profissão.

Mas agora só me importa a luz da janela dele.

Apesar de a luz estar ali por ele a ter acendido,

A luz é a realidade imediata para mim.

Eu nunca passo para além da realidade imediata.

Para além da realidade imediata não há nada.

Se eu, de onde estou, só vejo aquela luz,

Em relação à distância onde estou há só aquela luz.

O homem e a família dele são reais do lado de lá da janela.

Eu estou do lado de cá, a uma grande distância.

A luz apagou-se.

Que me importa que o homem continue a existir?

 

 

 

Nunca sei como é que se pode achar um poente triste.

Só se é por um poente não ser uma madrugada.

Mas se ele é um poente, como é que ele havia de ser uma madrugada?

 

 

 

Um dia de chuva é tão belo como um dia de sol.

Ambos existem; cada um como é.

 

 

 

Quando a erva crescer em cima da minha sepultura,

Seja esse o sinal para me esquecerem de todo.

A Natureza nunca se recorda, e por isso é bela.

E se tiverem a necessidade doentia de « interpretar» a erva verde sobre a minha sepultura,

Digam que eu continuo a verdecer e a ser natural.

 

 

 

Quando está frio no tempo do frio, para mim é como se estivesse agradável,

Porque para o meu ser adequado à existência das coisas

O natural é o agradável só por ser natural.

 

Aceito as dificuldades da vida porque são o destino,

Como aceito o frio excessivo no alto do Inverno—

Calmamente, sem me queixar, como quem meramente aceita,

E encontra uma alegria no facto de aceitar—

No facto sublimemente científico e difícil de aceitar o natural inevitável.

 

Que são para mim as doenças que tenho e o mal que me acontece

Senão o Inverno da minha pessoa e da minha vida?

O Inverno irregular, cujas leis de aparecimento desconheço,

Mas que existe para mim em virtude da mesma fatalidade sublime,

Da mesma inevitável exterioridade a mim,

Que o calor da terra no alto do Verão

E o frio da terra no cimo do Inverno.

 

Aceito por personalidade.

Nasci sujeito como os outros a erros e a defeitos,

Mas nunca ao erro de querer compreender demais,

Nunca ao erro de querer compreender só com a inteligência.

Nunca ao defeito de exigir do Mundo

Que fosse qualquer coisa que não fosse o Mundo.

 

 

Poemas Inconjuntos

in, Revista «Athena, vol.I, Fevereiro 1925», Lisboa

 

Poème précédent en portugais :

Manuel Alegre : Requiem (26/05/2023)

Poème suivant en portugais :

Sophia de Mello Breyner Andresen: Ithaque /Ítaca (30/10/2023)

 

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