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Le bar à poèmes
1 septembre 2022

Edouard Glissant (1928 – 2011) : Miroirs / Givres

2019-04-26-glissant_0[1]Créateur : Daniel Mordszinski

Miroirs

 

VILLES

     Sur la laine du bruit quelque objet de silence, mais si vaste.

     Il y va de l’amour, de son mouvement vers les vitrines attentives.

     Qui s’arrête et contemple ? Ici la pensée organise l’exposition des oripeaux,

et le charme s’éternise.

     Là, des chats géants grattent la terre, l’acier du silence et la croyance sans

objet.

 

L’AVEU

Chaque village est un appel miroir brisé

Soupesant dans leurs mains le désespoir

D’en face, tremblants ils se taisent.

 

C’est leur manière de fleurir, l’aveu.

*

Espace pour ces mains

N’y laissant trace d’amitié,

Secrète si secrète.

Qui ose dire si son visage

Tient à son corps ou si sa face

Est transparente ?

 

Miroir, nul n’y passe ô falaise.

 

Elle est oiseau mouvement pur

Que vent consume.

*

Ont-ils entassé leurs amours

Âme sur âme comme on voit

Vos marnes vos tourbes vos craies

Ô terrassiers que le vent guette

 

D’épouvante l’apothicaire

Dans son champ d’obus allumait

L’étincelle, bague des mortes

Pour un mort qu’on a oublié

 

Voyez, le pauvre vanneur

Il tressait l’osier des caresses

Gisants vous n’aurez de cesse

Que le miroir n’en soit terni.

*

Ô celui qui torture la route l’éparpille

Il injurie, contamine

Offense et se dresse par-dessus lui-même

Pour attaquer dans un absolu de silence.

*

La solitude l’émeut se meurt

Il approche la mer il gronde

Vaincu demeure, aveu brisé.

 

VERTIGE DES TEMPS FROIDS

Cendres taillis ô vos jours

Sont d’infini abandonné

Vos mensonges tels des atours

Sont pleurs, au miroir animés

 

Maigre miroir et haute tour

Eau de la mort emprisonnée

Dans nul océan hors labours

Fièvre et argile sillonnées

 

Pleurez que mon espace lie

Espace sur vous accompli

Plus qu’océan sur un banni

 

Mes fièvres labour taillis morts

A tels mensonges cendre encore

Et argile plus qu’infini.

 

Givres

 

 

ABRUPT

Non pas le chant, étal sur ton désert

Mais l’innocence tombée rouge

Limon des morts dans ta mort entablés

Un rire pour qu’un mort ensable sa blessure

Un cri un nœud un lourd aplomb de têtes chues

Non pas le chant

Mais cette pierre dans ta main où crie le vent

Et rêvent des oiseaux blessés des fruits des mots

Pendant que vive tu surprends

Le sang rivé vivant dans la nuit sans autan

 

ETAI

     Sampan il y avait dans l’horizon trop de chemins et une jungle il y avait

sous le miroir mille craies noires une plaie il y avait combien de larmes une

baie

 

     Sampan le soir par tes chemins nous revenaient les larmes et les craies il y

avait dans l’horizon un seul miroir pour cette plaie et sous la jungle notre haie.

 

     Sampan rêvant (mourant naissait) nous te hélions notre forêt il y avait la

croix d’orfraie et pour nos rêves ton empan et sur nos lèvres ton serment

 

     Et c’était l’étai qui maintenant de nous venant à nous passant nous donne

l’an où tout paraît (comme un sourire qui nous guette et qui déjà parmi nos

naissances nous prend).

 

L’ARBRE MORT ET VIVANT

 

Toute une nuit au bord de l’horizon

Il te cherchait, n’osant clamer par-dessus l’or

Si tu criais parmi les oiseaux morts

Si tu donnais la voix pour les peuples

Ou si muette tu venais dans l’épaisseur des vitres.

 

*

Il se tenait près de la nuit parmi les arbres

Il se levait dans son aurore et mort

Il chérissait tant d’ombre il déhalait ce bruit

Et te seyait, toi pure aux mains de qui poussaient

Les laves de minuit en l’arbre contemplées.

 

*

Il se tenait devant la nuit

Entretenu d’un vent de glace

Et se levaient les aigles sans cité

 

Mendiants dévolus qui lavaient l’horizon.

 

Le sang rivé (1947 – 1954),

Editions Présence africaine, 1961

Du même auteur :

Laves (01/09/2014)

Le premier jour (01/09/2015)

L’œil dérobé (01/09/2016)

Versets (01/09/2017)

Pays (01/09/2018)

Le grand midi (01/09/2019)

Saison unique (01/09/2020)

Saisons (01/09/2021)

Afrique (01/09/2023)

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