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Le bar à poèmes
2 septembre 2022

Hervé Carn (1949 -) : Le rire de Zakchaios

l-ecrivain-et-poete-plancoetin-herve-carn-a-lu-des-poemes_4152942[1]Le Télégramme. 04/09/2018

 

Le rire de Zakchaios

 

ZAKCHAIOS         

 

Tu montes dans le figuier   

Sous le vent sous les cris

La peau retrousse la mort

Elle la balance vers le ciel

Qui du bleu a pris le gris

De l’œil de la femme

Que tu veux voir plus près

Que tu veux sentir étreindre

Et que ce geste soit pur

Deux bras collés l’un

Contre l’autre deux bras

Dressés le long des flancs

Comme une offrande

Vers celle dont les cheveux

Ondulent sous le peigne d’os

Que l’esclave dénudée

Fait descendre le long du torse

En caressant les épaules

Le dos où les osselets creusent

Des abîmes ouverts à l’œil

Seul face aux promesses

Que tu es drôle mon gars

Les fruits du figuier

Urticants soudent ta peur

Dessinent ta joie douloureuse

Humectent ta tunique

Des sucs vénéneux que toi

Tu aimerais dissoudre

Les corps en morceaux

Tomberaient sur le sol

Les pas dansants

Des équipages les fouleraient

Dans les brames des bêtes

Et toi juché maintenant

Sur la plus haute branche

Tu tendras encore plus

Ton cou vers la muraille

Percé de la meurtrière

D’où coule la vie

 

*

Les figues chutent de l’arbre

La foule les ramasse

Bombarde ton torse

On te jette des insultes

Tu es le monstre révélé

Mais tu t’en moques bien

Hissé sur l’arbre

Ton épée au côté

Et des amis en armes

Prêts à te défendre

Tu t’en moques bien

De ces giclures de ces impacts

Ton œil seul agit

Sous le ciel bleu de gris

Qui découpe la meurtrière

Pour laisser voir la chevelure

Jetée sur les épaules

Par les gestes amoureux

De l’esclave dénudée

Dont le ventre caresse

Le genou de sa maîtresse

Que faire de mieux

Que dire de mieux

Que ce silence tendu

Menacé du brouhaha

De la foule plus sourd

 

Plus amer encore

Devant l’attente

De l’évènement dont toi

Tu ignores à peu près tout

Seul dans cette révélation

De la lumière si tranchante

Si féroce si touchante

Elle te possède tu trembles

De joie d’ivresse

Et peut-être par l’angoisse

Qu’un nuage un frelon

Un serpent versé du toit

Effacent le geste pur.

*

Et la foule t’abandonne

Des estafettes circulent

Le cortège est annoncé

Depuis si longtemps

Qu’on devine au loin

Un nuage de poussière

Qu’on perçoit des secousses

Des rumeurs des pleurs

Des rires des hoquets

Plutôt des approbations

Des pleurs de mères

On sent aussi dans l’air

Des parfums de musc

Des aigreurs de lait caillé

La molle senteur du pain

Qui vient de cuire

Mais toi collé à l’arbre

Rendu arbre toi-même

Tu es l’oiseau posé

Devant la meurtrière

L’esclave dénudée

Porte dans la main

Un pot de parfum

Puis elle oint la femme

Abandonnée à ses rêves

Elles se sont allongées

Rendues invisibles

Heureux sont les oiseaux

Penses-tu dans ton œil

D’oiseau ouvert sur elles

Nul tambour ne te rappelle

Tu es oiseau tu es chez elle

Le cortège est arrivé

Devant la foule

L’Homme la bénit

Il te voit dans l’arbre

Il ramasse une figue

Il t’appelle te sourit

Tu ne veux rien entendre

 

 

CLEOPHAS

 

Qu’il est dur le chemin

Du retour vers soi

Vers le peu de soi

Qu’est soi-même

Tu marches accablé

Tête basse pensée usée

Ravinée par le chagrin

Ton valet porte ton arme

Que tu lui as laissée

Ou plutôt jetée

De dépit découragé

Dans la ruelle

Qui te conduisait

Au pied du mont interdit

Par pieux par lances

Tu traines les pieds

Les rues sont vides

On a dit que l’astre

S’était voilé de gris

Tu ne le sais pas

Si enfoui en toi-même

Non tu ne le sais pas

Tu ne dis rien

Et ton valet trottine

De ses pas menus

Que tu détestais

Et qui te semblent ce jour

Une sorte de moisissure

De silence entouré

Pour envieillir d’un coup

Les promesses et les rires

Que l’on voyait danser

En flammèche sur les crânes

Des acolytes des disciples

Des amis des femmes de joie

Le chemin est long

Tu sais que tu dois fuir

Le plus loin possible

Car l’Homme n’est plus

 

*

Assis sur un pouf

Tu as placé tes gens

Sur la terrasse dans le jardin

A l’entrée de la ville

On t’a servi du vin

Ton valet le coupe

De l’eau fraîche du puits

Une jeune femme

S’active et se baisse

Révélant le bas du dos

Rougi par les premiers soleils

Tu ferais un signe

Elle viendrait vers toi

Une autre tendrait l’étoffe

Du sofa chercherait les fruits

Les gommes les encens

Peut-être un timbalier sortirait-il

De l’ombre et comme si souvent

Tu basculerais dans la béatitude

La main de ton ami se pose sur toi

Il est venu silencieux partager

Tes pleurs tes larmes tombent

Sur le sol elles se mêlent à ta sueur

Tu te sens plus abandonné encore

Dans votre double solitude

Depuis qu’il t’a pris la main

Trahi par les tiens par le vent

Levé dans la poussière

Tu oublies tes mots ton sang

Quitte tes veines dans le froid

De la blancheur de l’abîme

Que faire d’autre qu’attendre

Que le chagrin reflue ou se tarisse

Comme les flaques dans le désert

Tu es las ton ami pleure à son tour

Soudain ton valet accourt

Avez-vous seigneur oublié

L’arrivée d’un parent d’un client

Un pauvre homme est là

*

L’homme se tient debout

Il s’est approché de vous

Ton ami sèche ses larmes

Que nous veut cet étranger

Il est maintenant l’heure

Du repas du soir

Comment ne pas l’inviter

Tu frappes dans les mains

La table est dressée

L’homme roule dans sa main

Les boules de farine

Qu’il humecte d’un peu d’eau

Le poignet ensanglanté

Te ramène au monde cruel

Aux femmes dévastées

A la lance de Longus

Au fiel qui brûle les lèvres

Tu le regardes cet homme

Tu secoues ton ami

Abîmé dans un songe

Vos yeux s’ouvrent

Lui vous regarde avec amour

Mais aussi avec l’ironie

Bienveillante posée

Sur des enfants qui jouent

Tu ignores bien sûr

Que tu viens d’ouvrir

Une scène interminable

Qu’occuperont la Quête

De l’absolu la chasse

Inspirée des mots du ciel

Et les visions du dormeur

C’est bien l’Homme devant vous

Tu ne peux le veux le refuser

Il est venu des morts

Te prier de dire aux hommes

Il ôte son vêtement

Il vous bénit et disparaît

Il s’efface dans le soleil

 

MARIA DE MAGDALINI

 

Que douces sont ses mains

Quand elles suivent l’échine

Qu’elles s’attardent sur la cuisse

Et caressent la toison

Que ce petit homme est drôle

Perché dans le figuier

Sa courte épée au côté

Pendant comme un sexe mort

Je sais qui est ce misérable

Cet agent ce financier habile

Ce traître que j’aimerais

Voir mort à l’instant

Mais il est si drôle

Que je l’épargne et mieux

M’offre à son regard brûlant

Il ne sait bien sûr

Pour qui je me prépare

A-t-il entendu la rumeur

Qui accompagne l’Homme

Depuis le port depuis la brume

Du matin posé sur les champs

D’où les enfants jaillissent

Et courent vers Lui

Ne le sait-il pas ou veut-il

Retarder le moment où l’Homme

Captera dans sa lumière

Les gestes les lauriers les laudes

Les farandoles des servantes

Qui auront abandonné d’un coup

Leurs maîtresses changées en statues

Je me laisse choir dans l’ombre

Les parfums et les élixirs

Ruissellent sur ma joue

Je suis prête Ô Seigneur

A descendre dans la foule

Je sais que tu me verras

Dans ma beauté nonpareille

La servante noue autour de mon crâne

L’anneau de paille de la déesse

*

Paresseuse elle se réveille

L’Homme n’est plus

Elle a tant pleuré hier

Que même le tonnerre

Le vent le ciel gris

Ne l’ont pas alarmée

Elle pleurait l’Homme

Elle revoyait sa beauté

La bonté de son sourire

Quand il la remarquait

Cachée du premier rang

Sa chair humide émue

De désir d’abandon

Elle a honte de son rêve

Pourquoi le petit homme

Juché dans le figuier

Est-il venu la rejoindre

Alors que jamais plus

Le jeu mené par la servante

N’a traversé sa mémoire

Depuis ce jour glorieux

Où Il est arrivé

Parmi la foule les bras

Levés la parole douce

Porté soudain par des bergers

Par des marchands et même

Par des prêtres exaltés

Qui avaient caché leur châle

De prière sous le manteau

Qu’est-il devenu ce jour

Le petit homme curieux

On a dit que l’Homme

S’était invité chez lui

Il aurait crû d’un mètre

Comme le figuier avec lui

Il aurait donné sa fortune

La perte de l’Homme

Est surtout celle des légendes

Pleure encore belle amie

*

Viens vers moi ma belle

Viens soigner embellir

Ta vieille maîtresse

Qui a vieilli d’un coup

Un fil gris dans la toison

Répond au ciel de cendre

Sur le mont de l’autre jour

Caresse mon dos mes jambes

Frotte ma peau du crin

Rugueux jusqu’à faire rougir

Cette inutile enveloppe

D’un corps déboussolé

Attends-moi toujours

Retarde le doux moment

De l’habillage fais revivre

Ta maîtresse sous les fards

Il faut sortir il faut gravir

La sente attendre la caravane

Qui nous mène à la tour

Et la meurtrière ne sera plus

Qu’une fente de regrets

Je pleure de nouveau mon amie

Aide-moi à franchir

Cette flaque d’eau sale

Où flottent les molles figues

Une main sur l’épaule

Me tire doucement du cloaque

Elle me ramène vers le ciel

Soudain nimbé de lumière

Je suis aveugle entourée

D’oiseaux de plumeaux

Emportés par la brise

Mon corps frissonne

Des humeurs la traversent

Je Le vois dans la joie

Cet impossible retour

Point ne m’étonne

Il me presse contre Lui

Vivre devient l’infini

 

Le bruit du galop

Editions Folle Avoine, 35137 Bédée, 2019

 

Du même auteur :

La brûlure (21/02/2015)

Ce monde est un désert (07/03/2020)

Le bruit du galop. (I) (07/03/2021)

Le bruit du galop (II) (01/09/2021)

l’Arbre des flots (07/03/2022)

Petits secrets (1) (07/03/2023)

Petits secrets (2) (02/09/2023)

 

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