Voyage
quand j’étais jeune
je rêvais de vivre
à Paris New York Rome
Jérusalem Dakar ou La Havane
maintenant que j’ai vécu
à Paris à Rome et à Jérusalem
que je connais New York Dakar
et La Havane
je rêve des lumières absentes
de la ville natale
quand j’étais jeune
je rêvais de vivre
ailleurs partout
quelque part dans le monde
j’enfourchais alors une branche
d’arbre
ou l’une des nombreuses étoiles
de la nuit caraïbe
vaste et profonde
comme seule en invente l’enfance
et je m’envolais
(loup-garou insouciant et végétarien)
loin de mon quartier
loin de ma ville
avant que les notes fausses d’un coq
trahi par ses cauchemars
ne viennent m’arracher
aux tièdes clins d’œil
des premiers rayons du soleil
maintenant que je connais le monde
et la beauté de ses femmes
les yeux rieurs de ses enfants
l’arrogante impuissance de ses
hommes
maintenant que j’ai vécu
partout je rêve de vivre
chez moi
quand j’étais jeune
je rêvais de voyager
la vie
je partirais vers un monde
sans faim
où les lumières auraient emprunté
leur éclat à nos rêves d’enfants
aux reflets argentés de la mer au soleil
à l’eau du ravin
qui accueillait nos ébats clandestins
le lendemain des jours de pluie
aux avions dont l’envol matinal
se confondait avec la saison des
cyclones
maintenant que j’ai voyagé
que je voyage
jusqu’à en avoir le tournis
maintenant que mes pas
ont emprunté leur rythme
aux battement d’ailes sans fin du colibri
l’envie me prend parfois
de descendre
en cours de route
et de rentrer chez moi
de retrouver l’enfance sous le vieil
acajou
pour une partie de billes
ou un corps à corps gorgé d’orgueil
maintenant que j’ai voyagé
que je voyage
la vie
j’ai envie par moments
de m’arrêter
comme lorsque enfant nos semelles
vagabondes
nous ramenaient à la maison
dans l’espoir de troquer
la sueur la poussière et la faim
contre une bonne douche
des vêtements moins crasseux
et un hypothétique repas
j’ai envie de tout arrêter
et de rentrer au pays
de l’enfance
mais j’ai perdu
le chemin du retour
quelque rapace amblyope et
gourmand
aura gobé les cailloux
que j’avais oublié de semer
Medellín, 3 juillet 2011
In, « Il fait un temps de poème. Vol 2.
Textes rassemblés et présentés par Yvon Le Men »
Filigranes Editions, 22140 Trézélan
Du même auteur : « L’étranger en route sur la terre... » (29/07/2021)