Georges Hugnet (1906 – 1974) : Le poil de la bête
Man-Ray portrait de Georges Hugnet 1934
Le poil de la bête
à Marcelle Ferry
Sonneur de vérités, crieur de pressentiments,
vérité comme un pôle magnétique,
vérité qui parle en toi derrière ta bouche cousue,
hors du monde, dans le monde qui s’éthère
comme ce gâteau de boue où lente se recompose
la jeunesse du monde perdue de vue,
ainsi, ton sommeil n’est pas, n’est pas plus tranquille.
Dans la continuité de ce qui vit en toi,
une force sort de toi, continuelle, sans profil,
la houille blanche qu’on ne nomme pas,
par peur, par luxe, par hérédité, ô mal si perpétuel
d’être un silence pour un cri de simplicité,
ô révolte si caressante de l’estimation.
Au hasard, porteurs de mouvement perpétuel,
nous qui ne sommes pas perpétuels,
nous sommes en face de tant de loisirs,
de tant de promesses qui s’ébauchent à la minute
dont l’appât reste la beauté si lâche du geste
ou de l’esprit, ce touchant galopeur de facilités.
Sonneur de vérités, tant d’années sont derrière toi
qui réclament leurs chasses et leurs victimes,
même dans la douceur, même dans les jours si clairs,
même dans cet optimisme, même dans ce mépris,
même à l’ombre,
même dans un amour qui se casse,
même après cette corde rompue qui pend,
même dans cette nuit de rancunes,
même dans cette solitude comme une rue devant le désir,
comme un cri d’appel du loup,
même à l’ombre si palpable, entends-tu, même
après cette amarre rompue,
même devant ce vide.
In, Revue « Le Surréalisme au service de la révolution,
N° 6, mai 1933 »
Editions des Cahiers libres, 1933