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Le bar à poèmes
3 avril 2020

Fernando Arrabal (1932 -) : Kétamine (heureux !)

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Kétamine (heureux !)

 

Avec quel vertige l’anesthésie,

m’emporte vers le périple de l’hallucination.

Je traverse des labyrinthes

et des forêts exponentiels

instantanément multipliés.

Ou je rêve ?

 

Avec quel éclat des galaxies,

des planètes du trapèze,

et des tunnels du cerveau,

s’élèvent jusqu’au ciel

parmi les gouffres des abysses.

Ou je rêve ?

 

Riant à chaudes larmes

je n’ai pas le temps de tout voir,

tout défile à trop grande vitesse

entre des fleurs géantes

ou des herbes microscopiques.

Ou je rêve ?

 

Des pierres précieuses

et des miroirs en caoutchouc

font des bonds sur la lune,

des kaléidoscopes aux cornes de rhinocéros

s’ouvrent, accueillants.

Ou je rêve ?

 

Des anges humains

murmurent près de moi.

Le tintamarre des sourds

jouent la symphonie de l’Eden.

Ou je rêve ?

 

Dans un autre véhicule

elle voyage au-dessus ou au dessous de moi ?

derrière moi ou à mon côté ?

transversalement ou perpendiculairement ?

vient-elle d’en haut ou d’en bas ?

Ou je rêve ?

 

Elle me suit une seconde,

puis s’éloigne inexorablement.

Nous nous reverrons, heureux,

à bord d’une vache de météores.

Ou je rêve ?

 

 

 

La course précipitée

à califourchon sur Freud,

me donne le tournis,

je ne parviens pas non plus à me diriger.

Ou je rêve ?

 

Mon père,

tel un rayon supersonique,

surgit du couloir de la mort,

prisonnier de la forteresse Del Hacho.

Je sais que nous allons nous embrasser

tout au fond du firmament

parmi des cataractes de sable.

Ou je rêve ?

 

Se tordant de rire,

Didier Khan et Kundera

passent comme des bolides.

Ma mère nonagénaire

vole à bord d’une fusée

grâce à la perfusion d’oxygène

fixée dans son nez.

Ou je rêve ?

 

Elle rit avec les séraphins.

Les pataphysiciens chantent en chœur

« Bienheureux les pauvres »

en un écho qu’on aurait pu mastiquer.

Ou je rêve ?

 

Moi-même j’apparais et disparais

sans pouvoir me reconnaître

Dieu m’avale et me recrache.

Il m’extrait de mon véhicule supersonique

et me pose dans la paume de Sa main

Ou je rêve ?

 

Je sens qu’il va se passer quelque chose

d’encore plus prodigieux

lorsque... une voix me murmure doucement :

« Monsieur Arrabal, comment allez-vous ? »

Je reconnais l’anesthésiste...

et j’atterris.

Ou je rêve ?

 

(Hôpital, Paris, avril 2001.)

Revue « Poésie 1 / Vagabondages, N° 42, Juin 2005 »

Le cherche midi éditeur, 2005

Du même auteur :

 « J'ai une bulle d'air… » (17/11/2014)

Je te salue démente ! (17/11/2015)

Il est parti sans faire cygne (17/11/2016)

Requiem pour la mort de Dieu (17/11/2017)

Ai-je parlé pour mieux me taire ? (03/ 04/2019)

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