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Le bar à poèmes
3 avril 2019

Fernando Arrabal (1932 -) : Ai-je parlé pour mieux me taire ?

fernando_arrabal_elmundo

 

Ai-je parlé pour mieux me taire ?

(Lettre à Wittgenstein)

 

Aurez-vous roulé en vain la pierre

à l’arrière-goût de cendres

que contient votre nom ;

celle qui n’amasse pas mousse ?

 

N’aurez-vous pas,

toute votre vie,

contemplant votre autre « moi » emmailloté de blanc,

cherché la pierre philosophique

à défaut de philosophale

ou celle pour bâtir l’assemblée ?

 

Pour évoquer votre mémoire,

sans cacophonies patriotiques,

inutile de butiner dans les métaphores et les coquillages

où vibre la musique du crépuscule.

 

Sans carnet de damné

vous vous êtes consacré à épurer le langage,

à le dépouiller des équivoques,

à l’épouiller

et l’épucer,

à le délivrer des parasites

qui nous font croire que nous pensons

quand la langue parle pour nous et à notre place,

et croire dire ce qu’il faudrait  taire

 

Être plus clair,

plus précis,

plus honnête

plus dense,

en un mot plus,

vous aves constamment aspiré

à cet impossible éden

où les cœurs s’éprennent.

 

jardinier-philosophe ou philosophe jardinier ?

vous vous réfugiez

dans un monastère

si votre âme était en danger.

Pour la richesse de la solitude et du silence,

vous aviez renoncé  à l’autre

dont vous aviez été comblé à votre naissance.

 

Ingénieur

architecte

explorateur

 

condamné à revenir sur vos pas,

vous vous êtes toute votre vie demandé

à quelle hauteur devait se situer une porte,

celle que vous désiriez ouvrir sur un peu moins de nuit.

 

Vous souhaitiez être entendu

mais parfois désespériez de l’être,

et vous vous abandonniez alors

à la colère

et même aux coups de tisonnier,

tant avec des adultes qu’avec des enfants,

tous disciples obtus et récalcitrants

s’observant avec surprise.

 

Certains vous ont dit autiste

attendant Dieu avec gourmandise ;

d’autres à travers vos énoncés aux allures de truismes,

ont cru entrevoir de formidables

autant qu’ineffables révélations.

 

Je vous dédie ce court hommage

qui, pour vous être fidèle

se doit de paraître paradoxal :

aussi ai-je parlé pour mieux me taire ?

 

(Murcia et Paris, printemps 2004)

 

Revue « Poésie 1 / Vagabondages, N° 42, Juin 2005 »

Le cherche midi éditeur, 2005

Du même auteur :

 « J'ai une bulle d'air… » (17/11/2014)

Je te salue démente ! (17/11/2015)

Il est parti sans faire cygne (17/11/2016)

Requiem pour la mort de Dieu (17/11/2017)

Kétamine (heureux !) (03/04/2020)

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