Fernando Arrabal (1932 -) : Ai-je parlé pour mieux me taire ?
Ai-je parlé pour mieux me taire ?
(Lettre à Wittgenstein)
Aurez-vous roulé en vain la pierre
à l’arrière-goût de cendres
que contient votre nom ;
celle qui n’amasse pas mousse ?
N’aurez-vous pas,
toute votre vie,
contemplant votre autre « moi » emmailloté de blanc,
cherché la pierre philosophique
à défaut de philosophale
ou celle pour bâtir l’assemblée ?
Pour évoquer votre mémoire,
sans cacophonies patriotiques,
inutile de butiner dans les métaphores et les coquillages
où vibre la musique du crépuscule.
Sans carnet de damné
vous vous êtes consacré à épurer le langage,
à le dépouiller des équivoques,
à l’épouiller
et l’épucer,
à le délivrer des parasites
qui nous font croire que nous pensons
quand la langue parle pour nous et à notre place,
et croire dire ce qu’il faudrait taire
Être plus clair,
plus précis,
plus honnête
plus dense,
en un mot plus,
vous aves constamment aspiré
à cet impossible éden
où les cœurs s’éprennent.
jardinier-philosophe ou philosophe jardinier ?
vous vous réfugiez
dans un monastère
si votre âme était en danger.
Pour la richesse de la solitude et du silence,
vous aviez renoncé à l’autre
dont vous aviez été comblé à votre naissance.
Ingénieur
architecte
explorateur
condamné à revenir sur vos pas,
vous vous êtes toute votre vie demandé
à quelle hauteur devait se situer une porte,
celle que vous désiriez ouvrir sur un peu moins de nuit.
Vous souhaitiez être entendu
mais parfois désespériez de l’être,
et vous vous abandonniez alors
à la colère
et même aux coups de tisonnier,
tant avec des adultes qu’avec des enfants,
tous disciples obtus et récalcitrants
s’observant avec surprise.
Certains vous ont dit autiste
attendant Dieu avec gourmandise ;
d’autres à travers vos énoncés aux allures de truismes,
ont cru entrevoir de formidables
autant qu’ineffables révélations.
Je vous dédie ce court hommage
qui, pour vous être fidèle
se doit de paraître paradoxal :
aussi ai-je parlé pour mieux me taire ?
(Murcia et Paris, printemps 2004)
Revue « Poésie 1 / Vagabondages, N° 42, Juin 2005 »
Le cherche midi éditeur, 2005
Du même auteur :
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